Entretien : Zahir Benkhellat. Ex-délégué des ârchs revient sur la marche historique du 14 juin 2001

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Figure de proue du mouvement citoyen des ârchs, Zahir Benkhellat revient dans cet entretien sur le soulèvement populaire de 2001  encadré et conduit par l’inter- wilayas  des ârchs. Il rappelle que les commanditaires, les ordonnateurs et les assassins, des victimes du printemps noir, jouissent à ce jour de l’impunité.

L’Express DZ : 18 ans sont passés depuis l’organisation de la marche historique  des ârchs du 14 juin 2001, quel regard portez-vous aujourd’hui sur cet événement ?

Zahir Benkhellat : Le jeudi 14 juin 2001 restera une date phare dans la mémoire collective des hommes et des femmes épris de liberté et de justice. Ce jour là, plus de deux millions de jeunes gens et d’hommes de toutes les catégories et de toutes les régions sont descendus sur la capitale, Alger pour remettre la plate-forme d’El-Kseur  à la présidence de la République en mains propres, au président de la république.

Les deux millions de Kabyles ont été accueillis, ce jour-là, par des milliers de policiers. Dès les premières heures de la journée, une répression féroce eut lieu dans les rues d’Alger. On assista à une véritable chasse au Kabyle. Des magasins pillés ? Ce sont les manifestants kabyles, relayera la très officielle ENTV dans son JT de 20H. Il y a eu des morts ? Là aussi les coupables sont désignés par la télé publique : les manifestants kabyles.

Le chef du gouvernement, a l’époque Ali Benflis  dans un discours à l’hitlérienne, avait qualifié les manifestants pacifiques venus de  Kabylie de « terroristes ». Il a immédiatement annoncé l’interdiction définitive de toute sorte de manifestation à travers tout le territoire de la wilaya d’Alger, en remerciant les délinquants qui ont sauvagement agressé les manifestants et pillé les commerce de certains quartiers d’Alger

Ce jour-là du 14 juin 2001, l’innommable fut commis contre une des plus formidables organisations pacifistes de l’Algérie indépendante.

Certains estiment que le mouvement des ârchs  qui a tenu en haleine le pays pendant plus de deux ans, s’est terminé en queue de poisson ? Qu’en pensezvous ?

Le mouvement citoyen des ârchs né en Kabylie lors des événements sanglants du printemps noir 2001 est un  cadre qui s’est installé sur la scène politique  et s’est positionné radicalement vis à vis de l’État algérien par la rédaction de la plate-forme d’El-Kseur en juin 2001 (soit deux mois à peine après la mort du jeune lycéen) par quelques délégués d’un mouvement qui va s’imposer sous le nom de Mouvement Citoyen. Cette plate-forme rappelle en 15 points, les principes démocratiques inhérents à un État de droit et devient le texte doctrinal d’un mouvement qui n’est ni un parti politique, ni un mouvement régionaliste ou autonomiste mais l’expression ambitieuse d’une formidable protestation populaire. Ce mouvement a réussi en espace de quelques temps à arracher des acquis historiques.

Malheureusement les partis de la région ont usé  de pratiques machiavéliques pour torpiller ce mouvement qui ne servit pas leurs intérêts dans la région. En dépit d’une répression tous azimuts, conjuguée à une complicité avérée et déclarée d’un conglomérat de partis islamo-conservateurs et pseudo-démocratiques, au demeurant relais du pouvoir, et à l’instar de la marche historique du 14 juin 2001, l’action du rejet des « scrutins » clandestins du 30 mai, du 10 octobre 2002 et du 08 avril 2004 a permis l’émergence d’une véritable conscience citoyenne et a suscité une mobilisation populaire sans précèdent qui a touché d’autres régions du pays.

Le dialogue qui est une vertu a divisé le mouvement en deux ailes (dialoguiste et anti dialoguiste). En fin diplomate, Ouyahia  a réussi lors de ses différents rounds de négociation avec l’aile dialoguiste à évacuer  les questions politiques épineuses  en privilégiant les discussions techniques et d’intendance comme l’apurement des factures de Sonelgaz, le règlement du contentieux avec l’administration fiscale, l’indemnisation des familles des victimes du printemps noir.

D’ailleurs, le dialogue a été rompu définitivement quand le gouvernement avait proposé l’option du referendum pour l’officialisation de Tamazight. Mais c’était trop tard, car la population kabyle a perdu espoir et confiance ! En allant loin dans les négociations et le compromis  avec le pouvoir les dialoguistes n’ont pas pu déjouer le complot préparé par les partis traditionnels de la région qui se sont débarrassé de l’ogre MCB de la même manière !

Qu’est-ce qui a fait, selon vous, qu’un aussi puissant mouvement n’ait pas pu concrétiser ses objectifs ?

Depuis sa création, le mouvement a réussi trois grandes  échéances, la marche du 14 et l’empêchement des élections législatives et locales de 2002. Mais le pouvoir a réussi à corrompre des éléments dans le mouvement et à semer le virus de la division.

En se scindant en deux tendances, le mouvement a offert une occasion en or au pouvoir et à ses détracteurs pour l’affaiblir ! La transgression du  code d’honneur lequel devait mettre la structure à l’abri des manipulations du pouvoir, l’absence de suivi des dossiers de saisine des instances internationales ; le manque d’actions d’envergure internationales et le manque d’actions et d’initiatives de capitalisation des succès du mouvement ont influé négativement sur les objectifs tracés par le mouvement.

Malgré Les tentatives des fossoyeurs du mouvement citoyen, agissant pour le compte du pouvoir mafieux et assassin et de chefs d’appareils politiques, en dépit de leur échec, le mouvement citoyen a réussi à concrétiser plusieurs de ses objectifs tels que :   l’arrêt de l’effusion du sang ,l’organisation de grandes actions populaires et historiques , la mise en quarantaine de la gendarmerie et le départ de certaines brigades, l’inspiration d’un formidable élan de solidarité national et international, la prise en charge des blessés du mouvement, le maintien de la pression populaire sur le pouvoir maffieux et assassin ,la mise à nu des pratiques du pouvoir corrompu et corrupteur et la réappropriation et réhabilitation morale des Hommes et des dates historiques.

Jusqu’à présent aucune étude sérieuse ni bilan exhaustif n’ont été réalisés sur ce mouvement qui a quand même ? Pourquoi cette négligence à votre avis ?

Depuis sa naissance le mouvement citoyen a entrepris de nombreuses actions que l’histoire enregistrera comme des moments forts de la mobilisation populaire dans notre pays malgré une répression qui n’a pas cessé de s’accentuer au fil des événements pour atteindre les pics extrêmement dangereux. Beaucoup d’études ont été réalisées mais qui demeurent insuffisantes et inconnues .C’est pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante qu’un mouvement de masse, démocratique, rassembleur et résolument pacifique, porteur d’un véritable projet de société moderne et démocratique présente une véritable alternative au système en place.

Le mouvement citoyen qui se bat pour un changement radical du système en place, a eu le mérite d’avoir clairement identifié et posé les véritables problèmes de la société ; que ce soit d’ordre politique, socio-économique, institutionnel, linguistique et identitaire. Et c’est sur que tôt ou tard, des historiens, des essayistes et des romanciers s’intéresseront d’avantage à cet épisode exceptionnel de l’histoire du pays.

Des voix insistantes s’élèvent et exigent la traduction devant la justice  des commanditaires et des assassins des victimes du printemps noir ? Pensez vous que cette revendication populaire puisse se concrétiser à l’avenir ?

Dix huit ans après ces événements sanglants, les auteurs et les commanditaires du massacre n’ont pas été jugés par des tribunaux civils, comme « exigé » dans la plateforme d’El-Kseur.

Pour rappel durant  quatre ans, beaucoup de sang a coulé et de nombreux jeunes ont perdu la vie. Cela au moment où aucun responsable, civil ou militaire, n’a jugé nécessaire d’ordonner aux gendarmes et autres forces de sécurité de cesser de tirer sur les manifestants avec des balles réels, et dans certains cas avec des balles explosives. D’ailleurs, Bouteflika, le chef d’Etat à l’époque n’a jamais donné de réponse sur ce qui s’est passé en Kabylie lors du printemps noir. Il s’est contenté de dire, lors d’un meeting électoral à Tizi-Ouzou en 2004 : « Je ne sais pas jusqu’à l’instant ce qui a provoqué cette tragédie nationale » Le constat est la, les commanditaires, les ordonnateurs et les assassins jouissent à ce jour de l’impunité !

Aujourd’hui la population fait du jugement des instigateurs et des assassins des martyrs du printemps noir 2001 une exigence morale majeure à la hauteur des sacrifices des victimes, martyrs et blessés des événements du printemps noir. C’est toujours ULAC SMAH ULAC, sans la vérité et la justice. Aucune concession ne sera par ailleurs faite et la Kabylie demeure toujours  le rempart contre l’amnistie, n’en déplaise aux cultivateurs de l’amnésie.

Cette révolution citoyenne née suite à la marche de Kherrata du 16 février dernier  restera dans les annales de l’histoire à la hauteur de ce qu’a été en 1989, la chute du mur de Berlin. Ce mouvement impulsé par la jeune génération algérienne des réseaux sociaux est l’expression d’une revendication politique, sociale, économique, identitaire et culturelle qui, au nom de la démocratie, revendique la liberté, la dignité, la justice et un État de droit.

Cette révolution pacifique citoyenne témoigne d’une aspiration du peuple algérien à vivre dans une Algérie libre, démocratique, respectueuse des droits fondamentaux permettant à chacun de vivre dignement. Qui aurait  imaginé que les adeptes du cannibalisme politique prôné la momie Boutefflika, seraient dégommés d’une manière humiliante et jetés en pâture ? Alors ceux qui sont derrière ces assassinats à leur tête le sieur Zerhouni qui a jeté de l’huile sur le feu en qualifiant le martyr Guermah Masinissa répondront de leurs crimes devant la justice et la population locale n’arrête pas de réaffirmer cette revendication dans toutes les marches et elle en  fait  une question d’honneur !

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