Mourad El Besseghi, expert financier : « Après les crises et les révolutions, s’en suivent des phases d’ascension spectaculaires »

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Dans cet entretien l’expert financier MEl Besseghi s’exprime sur les dernières déclarations du FMI concernant l’incertitude qui domine sur la croissance en Algérie suite au Hirak. Selon lui, cette incertitude est surtout le fruit de l’instabilité du prix du pétrole, ensuite l’Algérie s’apprête à entrer dans une nouvelle ère, une seconde république, mais en passant par une phase de transition qui a un cout économique certain.

L’Express-DZ : Selon Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient, Afrique du Nord et Asie centrale au Fonds monétaire international (FMI), c’est l’incertitude qui domine sur la croissance en Algérie. Pourquoi à votre avis ?

 

MEl Besseghi : En effet, cette incertitude est double : Primo, elle est surtout le fruit de l’instabilité du prix du pétrole, qui connait une volatilité ces derniers mois passant de 83 dollars à fin septembre 2018 à 53 dollars en janvier 2019 et qui se trouve avec un pic de 74 dollars la semaine éculée pour dévisser à 71,42dollarsvendredi 3 mai à la clôture sur le LONDON STOCK EXCHANGE, sous l’effet de l’annonce du niveau des stocks américains et de la production Russe. Dans une économie quasi dépendante des hydrocarbures, lorsque le prix du pétrole éternue l’économie Algérienne s’enrhume et la machine économique se grippe. Le taux de croissance affichait par l’Algérie est de 2,5% principalement tirée vers le haut par la dépense publique, elle-même financée par la planche à billet. Le FMI prévoit 2,3 %, au même niveau que celui de la Banque mondiale, ce qui n’est pas surprenant lorsque qu’on sait qu’il y a eu souvent des divergences beaucoup plus prononcées au cours de ces dernières années, entre les annonces de l’Algérie de ce taux et ceux des deux institutions de Breton Wood.

Secundo, l’Algérie s’apprête à entrer dans une nouvelle ère, une seconde république, mais en passant par une phase de transition qui a un cout économique certain. En effet, la mise en place des institutions républicaines, la remise en marche de l’appareil économique, la définition d’une nouvelle stratégie, les positions d’attente des investisseurs locaux et étrangers, les reports de décision, etc…. ont de façon évidente un impact sur l’économie qui est  difficilement chiffrable pour le moment. Mais cette situation présente certainement un cout considérable. D’ailleurs l’agence de notation « Moddy’s » a dressé récemment un état des lieux préoccupant des positions financières de l’Algérie qui risque de se renforcer si la période de transition en question se prolonge, ce qui n’est pas à écarter.

Mais, il est une certitude qui découle du bon sens, quel que soit le cout de cette transition, il est bien moins onéreux que ce que le peuple aurait subi en perpétuant avec la même foulée la situation d’avant. Les sommes colossales dépensées à tort et à travers, les crédits bancaires faramineux accordés sans suretés et surtout sans réalité physique, les abus de position, les détournements fabuleux, la gabegie effrénée qui donnent le tournis, les privilèges éhontés, les activités mafieuses, les trafics de drogue, etc…sont de loin bien plus dévastateurs et calamiteux qu’une période de transition chahutée avec des turbulences, en somme tout à fait compréhensible, durant laquelle le pays se remet en cause et redresse la situation. C’est le prix à payer, pour arrêter la saignée à blanc de la corruption, entrer dans un avenir plus stable et remonter durablement la pente.

Selon lui 2020 devra être l’année du retour à une gestion budgétaire plus rigoureuse, car il est important que l’Algérie préserve sa stabilité économique durant sa transition politique. Il lui faut désormais éviter de monétiser ses déficits. Êtes-vous de cet avis ?

L’agence de notation Moody, citée par la presse, avait prédit que la crise politique algérienne approfondira ses problèmes économiques et budgétaires sous-jacents et mettra en péril son profil de crédit.

En effet, avec une dette extérieure très faible et un volume de réserves de change de 80 milliards de dollars, l’Algérie dispose d’une solvabilité remarquable. Le déficit de la balance commerciale s’est situé à 10 milliard de dollars en 2017 et à la moitié en 2018. Cette amélioration est surtout le résultat d’une amélioration des prix du Brent plutôt qu’à une performance quelconque.

Dans l’histoire des civilisations et des peuples, on dit souvent, qu’après les crises et les révolutions, dans lesquelles on observe de fortes récessions économiques, s’en suivent des phases d’ascension spectaculaires. Tel un volcan, le peuple crache subitement tout le feu et expulse des geysers de lave sur des institutions pour en faire après correction, des terrains d’une fertilité inégalés.

L’année 2020 pour l’Algérie, fait partie de cette phase descendante mais qui présage d’un horizon glauque. Le sursaut populaire et la confiance rétablie, entre gouvernés et gouvernants, feront le reste. Le modèle économique pensé par la task-force en 2017, contre lequel, quasiment tous les économistes avaient exprimé des réserves, devra être carrément repensé pour donner naissance à un programme de moralisation dans l’utilisation des moyens, de rationalisation des dépenses, de dynamisation de l’industrie et de toutes les autres sphères économiques.

Sur un autre sujet d’actualité, celui de la dévaluation du dinar. Certains experts imputent les infractions à la législation des changes à la non convertibilité du dinar. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?

Il est vrai que certaines infractions à la législation des changes, découlent souvent de la non convertibilité du dinar. La présence de deux marchés de devises, l’écart de taux de conversion alimentent la fraude fiscale, la corruption, les crimes financiers, le blanchiment des capitaux et toutes ces pratiques malsaines, mais aussi, à l’origine du faible niveau de bancarisation. Si vous ajouter à cela une réglementation opaque de la Banque d’Algérie et des traitements de dossiers différenciés, vous aboutissez à un système d’une complexité extrême constituant un terreau propice à toutes les dérives. Cependant, si elle venait à être adoptée, la convertibilité du dinar va engendrer subitement une sortie massive des capitaux, siphonnant le matelas de devises encore disponible. Cependant à terme, cela peut être un excellent moyen d’attirer des capitaux étrangers puisque les détenteurs de ces capitaux seront rassurés que le retour sur investissement et leurs dividendes seront admissibles pour la sortie aussi.

Mais vouloir réduire tous les effets néfastes à la seule convertibilité semble trop simpliste et réductrice.

Par ailleurs, peut-on s’accommoder avec un glissement du dinar aussi important pour lui permettre de rejoindre le niveau actuel de la devise sur le marché parallèle ? Le faire c’est manquer de réalisme et aller droit vers une catastrophe sociale aux conséquences incalculables. Les prix grimperont à une telle allure, que le consommateur n’aura pas eu le temps de digérer. Elle ne peut se faire que lentement et en considérant, entre autres, que les subventions publiques soient supprimées.

L’intégration de l’économie Algérienne dans le marché international est un processus inévitable et la convertibilité doit se faire un jour ou l’autre. Elle présente des avantages mais aussi beaucoup d’inconvénients sachant que l’économie de l’Algérie n’est pas performante pour affronter le marché international, du jour au lendemain. Certes, il faut regarder ce que l’on gagne mais ne pas négliger de compter ce que l’on perd.

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