Algérie-France: les archives coloniales encore « cadenassées »

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Dans une excellente étude publiée par « Orient XXI » et signé Ernest Pignon-Ernest, on lit qu’au-delà des intentions et des paroles complaisantes, toute la difficulté de mettre la main sur les archives de la guerre d’Algérie et les dossiers les plus « lourds ».

L’auteur donne « deux cas emblématiques d’une rétention à bas bruit des archives » : la disparition du militant de l’indépendance algérienne Maurice Audin et la répression meurtrière de la manifestation parisienne du 17 octobre 1961 à l’appel du Front de libération nationale (FLN).

   « En 2013, dit l’auteur, le président François Hollande remet à Josette Audin des copies de documents concernant son mari Maurice Audin, ainsi qu’une liste d’archives qu’elle peut aller consulter et copier. Elle accède entre autres pièces à un dossier saisi en 1961 chez le colonel Yves Godard, alors en fuite. Godard était l’un des chefs de l’Organisation armée secrète (OAS), organisation terroriste se réclamant de l’Algérie française. En fait, la décision du président n’est pas extraordinaire : la loi française reconnaît que la raison d’État permet de tamponner des documents du sceau « confidentiel », « secret » ou « très secret » afin d’en empêcher la consultation, mais durant cinquante ans seulement.

Or, la surprise est là : que trouve-t-on dans le dossier de Godard, versé aux Archives en 1961 ? En particulier, la thèse officielle pour expliquer la disparition de Maurice Audin étant celle de l’évasion, des documents fabriqués par l’armée pour étayer cette thèse, avec leurs contradictions.

  « Les archives, dit Ernest Pignon-Ernest, sont de différents types et se trouvent donc dans divers endroits. Ainsi, les journaux de l’époque se trouvent à la Bibliothèque nationale, et les historiens, comme les journalistes, peuvent y accéder sans délai. Mais l’administration française est productrice d’une grande quantité de paperasses, dont une partie se retrouve dans les archives. L’armée n’échappe pas à cette règle. Le général Paul Aussaresses se plaisait à dire qu’il avait un « manifold », carnet numéroté où chaque page était suivie de trois copies ; jour après jour, il y détaillait ses activités, en gardait une copie, et distribuait les autres à différents destinataires, dont Massu. Il serait étonnant que ces copies n’aient pas été archivées. Mais où les trouver ? Dans les archives d’Aussaresses ou de Massu ? On ne sait pas ce qui peut s’y trouver puisqu’elles sont restées privées, ce qui est assez scandaleux : ces documents sont professionnels et non personnels, ils devraient revenir dans le patrimoine public, comme le proposait dès 1996 un rapport commandé par le gouvernement Juppé.

    « Les archives demeurent placardisées ». Du coup, les portent « se referment, car les intimidations pèsent concernant leur divulgation : sont ainsi menacés de peines diverses aussi bien les divulgateurs que les archivistes, tous potentiellement accusés de compromission. En 2020, pour renforcer son contrôle, le SGDSN exige que les documents « confidentiel », « secret » et « très secret » soient déclassifiés page par page avant consultation. Un travail titanesque qui décourage toute velléité d’ouvrir ces archives. Et cela pourrait concerner même ce qui a déjà été consulté, voire publié. C’est ce qui justifie les actions menées contre cette IGI-1300 qui est contraire à la loi : tribunes, pétitions, recours en Conseil d’État, provenant d’associations, y compris d’historiens, d’archivistes, et du Collectif secret défense-un enjeu démocratique ».

Ainsi, en lisant cet article, on comprend que le mémoriel dont parle Macron n’est qu’un jeu diplomatique, sans grand effet concret sur le travail que la France officielle devait, et devrait encore, faire sur elle-même.

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