Le Maroc face à une mobilisation qui ne faiblit pas

Depuis la fin septembre, la contestation ne cesse de prendre de l’ampleur au Maroc. Ce mouvement, lancé par un collectif de jeunes « GenZ 212 » pour dénoncer la corruption et la dégradation des conditions de vie, touche désormais d’autres secteurs. Après la rue, c’est au tour de l’enseignement supérieur d’entrer dans la mobilisation.

Les enseignants-chercheurs ont entamé une grève à partir de mercredi pour protester contre une réforme jugée dangereuse. Selon eux, la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur, connue sous le nom de projet de loi 59-24, remet en cause la gratuité de l’université publique.

« C’est un choix dangereux qui risque d’hypothéquer l’avenir de l’université marocaine et de la société pour des décennies. On lie le financement de l’université au secteur privé et à la logique du marché et on transforme le droit à l’enseignement supérieur public en privilège réservé à celles et ceux qui peuvent payer », a expliqué Mustapha Azaitraoui, vice-secrétaire général du Syndicat marocain de l’enseignement supérieur (SNESup).

Le syndicat reproche au gouvernement d’avoir imposé cette réforme sans concertation avec la communauté universitaire. Pour Mustapha Azaitraoui, elle menace l’indépendance académique et réduit le rôle des instances élues au sein des universités.

« Le deuxième point, c’est la perte d’indépendance académique. Le texte prévoit la création d’un conseil des administrateurs, composé en majorité de membres nommés par l’extérieur, au pouvoir étendu, marginalisant ainsi les instances élues des enseignants, des administratifs et des étudiants », a-t-il précisé.

Le SNESup dénonce aussi « le mauvais état des infrastructures, l’insuffisance des ressources humaines et des équipements des universités ». Le syndicat dit soutenir les revendications des jeunes Marocains, dont « l’exigence d’une école et d’une université publique capables de garantir à toutes et à tous l’égalité des chances, un enseignement de qualité et un horizon d’émancipation ».

Le collectif à l’origine du mouvement a appelé à de nouveaux rassemblements jeudi, à la veille de l’ouverture de la session parlementaire.

Des voix de soutien parmi les intellectuels et les militants

Des figures marocaines du monde intellectuel et des droits humains ont rejoint le mouvement. Dans une lettre ouverte signée par une soixantaine de personnalités, parmi lesquelles l’historien Maâti Mounjib, le journaliste Omar Radi et le militant Fouad Abdelmoumni, ils affirment que « les revendications des jeunes sont légitimes » et que « l’heure est grave ».

Les signataires appellent le Makhzen à réagir. Selon eux, pour « traiter les causes structurelles de la colère », il faut « lutter contre la corruption » et « le clientélisme », et recentrer les priorités sur « l’éducation, la santé et la création d’emplois – au lieu de persister dans les dépenses somptuaires » comme « le plus grand stade de football au monde ».

Ils demandent également de « lancer un processus de réforme constitutionnelle » et la libération de « tous les détenus du mouvement des jeunes » ainsi que « les autres prisonniers politiques et d’opinion au Maroc ».

« Le peuple du Maroc souffre, sa jeunesse le crie dans les rues avec force », écrivent-ils.

Depuis le 27 septembre, les manifestations se multiplient dans plusieurs villes. La répression a déjà fait, selon diverses sources, trois morts, plus de 300 blessés et près de 500 arrestations.

La contestation prend une tournure économique

Mardi, les jeunes protestataires ont décidé de passer à une nouvelle étape : une campagne de boycott des produits liés aux entreprises du chef du gouvernement et milliardaire Aziz Akhannouch. Ils le présentent comme le symbole de « la clique de l’argent sale » et de la fusion entre pouvoir politique et richesse économique.

Les manifestants visent notamment Akwa Group, Afriquia Gaz et Maghreb Oxygène, qui contrôlent une grande partie du marché de l’énergie au Maroc. Selon les chiffres disponibles, cet empire détient environ 40 % du marché des carburants, 45 % du gaz butane et 62 % du gaz de pétrole liquéfié. Akhannouch est également impliqué dans un vaste projet de dessalement de l’eau de mer.

Sa fortune est estimée à 1,6 milliard de dollars, selon Forbes.

Alors que les prix des produits de base augmentent et que le chômage persiste, cette situation alimente la colère. Beaucoup accusent le gouvernement d’être déconnecté des réalités sociales. Dans les rues, les slogans se multiplient : « Liberté, dignité, justice sociale », « Où est la compassion ? Le malade est devenu une marchandise », « Le peuple veut la fin de la corruption », « Pacifique, pacifique », « Liberté pour les détenus ».

Un malaise social profond

Les critiques à l’égard du gouvernement se font aussi entendre du côté des syndicats. L’Organisation démocratique du travail (ODT) dénonce l’échec des programmes publics pour l’emploi et « le gaspillage des fonds publics ». Le Bureau exécutif de l’Union des organisations éducatives marocaines soutient les jeunes manifestants et s’étonne de « la contradiction flagrante entre le discours gouvernemental sur l’Etat social et la culture du dialogue » et la réalité du terrain.

La Coordination nationale du secteur de l’emploi, de son côté, accuse le ministre Younes Sekkouri de ne pas avoir engagé de dialogue efficace et de ne pas avoir respecté les engagements pris depuis quatre ans.

Plusieurs intellectuels partagent ce constat. L’avocat et militant Mohamed Najib Anitra estime que « les manifestants ont fait preuve d’un grand sens de discipline, de pacifisme et un niveau élevé de conscience (…), mais les autorités publiques ont manqué le rendez-vous, recourant aux mêmes méthodes archaïques de violence verbale et physique ».

L’écrivain Youssef Aghouirkat, lui, voit dans ce mouvement « une transformation profonde de la conscience politique et sociale des jeunes ».