Histoire des «1000 disparus» algériens: Les restes d’un fichier secret retrouvé

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Des historiens de l’association Histoire coloniale et post coloniale ont mis en ligne le 15 septembre dernier sur le site 1000 autres.org. «1 000 autres» pour dire mille autres disparus, probablement tous torturés à mort, ou torturés et assassinés par l’armée française, comme le fut le jeune mathématicien Maurice Audin pendant la bataille d’Alger, en 1957. 

La fiche précise : «en cas de découverte, prévenir sa femme». Si l’existence de ce fichier établi par le service des liaisons nord-africaines de la préfecture d’Alger était connue depuis l’année même de sa création, en 1957, il resta toutefois secrètement confiné dans les archives pendant soixante ans.

L’enseignant en histoire Fabrice Riceputi l’a récemment exhumé des Archives nationales d’outre-mer, à Aix-en-Provence, à la faveur de travaux qu’il mène sur Paul Teitgen, ancien résistant torturé et déporté, qui devint ensuite secrétaire général à la police de la préfecture d’Alger : «Il dénonça dans sa lettre de démission dès le printemps 1957 les crimes de guerre perpétrés en Algérie», explique Fabrice Riceputi.

L’avocat Maurice Garçon, chargé d’enquêter sur les allégations de torture en Algérie pour une commission créée par le gouvernement Guy Mollet, Paul Teit­gen fit des confidences sur les pratiques d’enlèvement, séquestration, torture et assassinat. C’est probablement lui aussi qui lui signala l’existence du fichier des personnes arrêtées. Mais l’avocat n’arrivera jamais à obtenir l’autorisation de consulter ce fichier hautement sensible de personnes disparues. 

En septembre 1958, la préfecture fait état de 2 039 noms. Plus tard, Paul Teitgen évoquera 3 024 disparus de la bataille d’Alger. Pour l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui ne cessa de dénoncer les crimes en Algérie jusqu’à sa mort en 2006, le nombre des disparus était «certainement beaucoup plus élevé». 

Du fichier, Fabrice Riceputi a retrouvé 850 noms. Deux autres sources ont permis d’étayer la liste pour porter à 1010 le nombre des notices de disparus. D’une part, le Cahier vert, publié sous le manteau à Lausanne, en 1959, et qui recensait les plaintes pour disparition de familles collectées à Alger en 1959 par les avocats Jacques Vergès et Michel Zavrian, et de l’autreles enseignants d’Alger, pour la plupart communistes ou chrétiens, témoins de disparition et de torture qui s’organisent à l’époque en comité de défense

Dès la création du site, les premiers témoignages affluent : «C’est extrêmement émouvant », se trouble Fabrice Riceputi. Dans la liste, Younes Sadeg identifie son père Rabah Sadeg, marchand de charbon arrêté le 1er février 1957 par les parachutistes, à jamais disparu. Younes Sadeg avait 7 ans et demi le jour de l’enlèvement. Un autre témoin dit avoir, enfin, la preuve de l’arrestation de son grand-père. Sa grand-mère, toujours en vie, entendit de la bouche d’un militaire, après des mois de recherches et d’attente devant la préfecture, que le corps de son mari avait été jeté depuis un hélicoptère dans la mer… 

La liste du site a vocation à s’enrichir par les familles elles-mêmes. En espérant que les archives françaises- et, qui sait, algériennes-apporteront, elles aussi, des bribes d’informations sur une histoire encore douloureuse. 

Au-delà de la responsabilité de l’État dans cet assassinat, c’est l’existence d’un système légal autorisant les exécutions sommaires et la torture qu’Emmanuel Macron a actée. La loi «autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée», votée en 1956 et mise en œuvre l’année suivante, a-t-il précisé, a créé «ce terreau malheureux d’actes parfois terriblesPendant la guerre d’Algérie, seuls des hauts gradés pouvaient éventuellement désobéir à un ordre injuste», selon les mots d’un historien, citant notamment le général Pâris de Bollardière, qui refusa les ordres du général Massu avant de démissionner en 1961. 

«La phrase d’Emmanuel Macron ouvre une brèche pour la reconnaissance de ces Justes, civils et militairesParmi eux, des déserteurs, au nombre de 15 000 environ, mais aussi ceux qui ont résisté dans les rangs de l’armée en n’appliquant pas les ordres» ajoute-t-il.

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