Mohamed Sami Agli, président du CAPC (ex FCE): «Nous avons besoin d’une vision économique à long terme»

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L’Algérie traverse une grave crise économique et financière ? Comment analysez-vous la situation ? 

Tout à fait. nous n’avons cessé d’alerter sur la situation difficile que traverse l’économie nationale depuis notam- ment  le  mois  de  mars  avec  l’épidémie  de  la  covid-19.

Nous sommes inquiets. J’ai eu à échanger beaucoup avec nos membres à l’occasion de nos rencontres, réunions du bureau exécutif. .. et je ne vous cache pas que la situation est   préoccupante, les entreprises   traversent   une conjoncture  difficile  :  des entreprises  ferment  avec  ce que cela induit sur le plan social comme perte d’emplois.

Les entrepreneurs gèlent leurs activités, licencient, renoncent à des investissements et restituent même du foncier industriel /agricole, l’administration est atomisée, peur de prendre des  décisions, les banques accordent très peu de crédits et j’en passe. Nous avons saisi les pouvoirs publics comme vous le savez.

Nous avons fait  des propositions et préconisé des mesures d’urgence. Elles ont trouvé un écho favorable auprès des pouvoirs publics et on s’en félicite, encore une fois. Maintenant il s’agit de les mettre en application. Le temps n’est pas en notre faveur. Chaque minute de perdue est pour nous synonyme de perte de productivité et d’emplois. Par ailleurs, j’ajouterais, que cette pandémie est aussi une opportunité et un réel facteur d’accélération de la transformation de notre modèle économique, jusque-là basé sur la rente des hydrocarbures.

L’ex-FCE est en partie responsable des mauvais choix pris par les gouvernements successifs durant les 20 dernières années. Le copinage a eu raison de toutes les tentatives de mettre en place une économie productive, saine et créatrice de richesses. Comment faites-vous pour vous débarrasser de ce passif peu glorieux ?

L’ex FCE est aujourd’hui devenu CAPC une organisation qui regroupe des milliers de membres pour la plupart des Pme. Ces entreprises n’avaient aucun droit de regard sur les choix économiques de l’époque et ont subi les mauvaises orientations. En prenant les rênes de cette organisation, j’avais justement à cœur de rétablir aussi une vérité celle d’une organisation qui a fait beaucoup pour l ‘économie depuis sa création il y a de cela 20 ans. des agissements de personnes ne peuvent en aucun cas remettre en cause justement le passif de notre organisation que je considère malgré tout de «glorieux». arrêtons de faire l’amalgame, arrêtons de diaboliser nos entreprises.

Permettez-moi de rappeler que pour nous, nous ne pourrons relancer notre économie sans l’entreprise nationale. Elle est et sera toujours la seule voie pour une croissance forte et durable et celle de la création massive de l’emploi dont notre pays a fortement besoin.

Les expériences nous ont renseigné que les plus grandes économies du monde doivent leur développement à un secteur privé puissant. Bien évidemment, nous revendiquons un etat qui, à travers ses institutions, assume pleinement son rôle de régulateur.

En Algérie, il y a lieu de rappeler qu’avant la conjoncture difficile que traverse l’économie nationale, la part du secteur privé dans la valeur ajoutée totale est de plus de 70%. Hors hydrocarbures, elle est de plus de 85%. en matière de création d’emplois, le secteur privé contribue à plus de 70%.Pour revenir donc à votre question, la justice est en train de faire son travail en demandant des comptes à toute personne, je dis bien Personne, qui aurait porté atteinte d’une manière ou d’une autre au pays et à son économie. Nous au sein de la CAPC, nous avons tournés la page depuis déjà une année et demie. Vous avez suivi en tant que journaliste la nouvelle vision de notre organisation que nous voulons citoyenne, transparente et apolitique. Nous sommes plus que jamais revenus à notre mission de base autour de 3 axes majeurs: instaurer un cadre permanent de dialogue et de concertation au service du développement de l’entreprise et de l’économie nationale, promouvoir l’image de l’entreprise, créatrice de richesse, éthique et citoyenne et contri- buer à l’amélioration d’un environnement des affaires attractif, transparent et stable.   Nous sommes une organisation apolitique et une force de proposition mobilisée pour le  développement de l’économie de notre pays.

L’administration et son bras armé la bureaucratie a toujours constitué un obstacle, un frein pour l’émergence des compétences et du savoir-faire algérien. Pensez-vous qu’un jour, le pays va se débarrasser de ce «monstre» pour permettre au pays de se développer normalement ?

Quand la bureaucratie est qualifiée de «premier ennemi du pays» par le Premier ministre, cela renseigne sur son poids et son impact sur les entreprises et l’économie. Elle se retrouve à tous les niveaux de l’administration et pèse lourdement sur les entreprises, malgré les différentes mesures décidées par les pouvoirs publics. La crise de la covid-19 illustre parfaitement les conséquences de cette bureaucratie dans la mesure où les multiples dispositions exceptionnelles prises par le gouvernement pour aider les entreprises ont été appliquées différemment au niveau des différentes wilayas. Je peux vous citer les requêtes de nombreuses entreprises qui nous ont fait part de plusieurs obstacles et lenteurs au niveau de l’administration concernant leur mise en application.

A titre d’exemple, certaines entreprises ont eu des difficultés à obtenir des échéanciers de paiement au niveau de certaines agences bancaires et de l’administration fiscale et autres. Pourtant, les mesures d’allègement de certaines dispositions prudentielles   applicables aux banques et établissements financiers étaient décidées pour accompagner les entreprises, mais en termes d’application, les choses se passaient autrement. Les entreprises ont été donc doublement impactées, la crise sanitaire d’un côté, et les blocages administratifs de l’autre. Il est absolument urgent de lutter contre ce phénomène pour donner un nouvel élan à la croissance économique. Pour cela, le projet de modernisation et débureaucratisation de l’administration publique est une extrême urgence, car le coût de cette bureaucratie est non seulement exorbitant, mais surtout répulsif pour tout type d’investisseur.

Le 22 février 2019 a été un tournant décisif dans l’histoire de l’Algérie. Les nouvelles autorités du pays sont engagées à mettre un terme à la gabegie et surtout à la corruption qui a gangréné en particulier la sphère économique du pays. Etes-vous optimiste ou plutôt défaitiste et quels sont vos arguments à ce sujet?

Vous savez ! avant d’être des chefs d’entreprises, nous sommes avant tout des citoyens algériens soucieux de vivre dans un pays stable et prospère. nous n’avons pas de pays de rechange et on ne cessera jamais de le répéter.

Le mouvement du hirak est avant tout l’expression de tout un peuple et une jeunesse qui aspire à exercer pleinement sa citoyenneté. Ce qui est pour moi un droit légitime. Chacun à son niveau doit tirer les leçons des 20 dernières années. C’est ce que nous avons fait en tout cas au niveau de notre organisation.

Nous espérons contribuer à la construction de cette nouvelle algérie dont nous tous nous aspirons. Il s’agit pour nous, chefs d’entreprises, de converger nos efforts avec les institutions dans le but de bâtir une économie prospère au service de la croissance, de l’emploi et du bien-être des algériens.

Quelle lecture faites-vous par rapport à cet accord avec l’UE remis en cause par de nombreux économistes sérieux et que propose votre organisation pour mettre fin à cette «mainmise» de lobbies étrangers sur notre économie et notre richesse ?

Avec l’union européenne, nous considérons que nos destins sont liés et nous   partageons des valeurs essentielles. Cependant, pour ce qui est de la révision de l’accord d’association, nous estimons qu’il est tout à fait légitime pour notre pays de vouloir préserver ses intérêts.

Il est fondamental de placer la protection de la production nationale au cœur de la stratégie économique. Certes, nous sommes favorables pour la consolidation de la  coopération économique avec l’union européenne, mais dans tout accord, les différentes parties défendent leurs intérêts, dans une relation gagnant-gagnant.  

Notre organisation CAPC est favorable à la révision de l’accord d’association signé avec l’ue. Quinze (15) ans après sa mise en œuvre, nous nous demandons si cet accord d’association a préservé les intérêts de notre pays ! non.

Au-delà des autres volets de cet accord, nous considérons que la coopération avec l’ue n’est pas équitable en raison du déficit permanent de la balance commerciale de l’Algérie hors hydrocarbures en faveur des importations de l’ue.

Ce déficit risque de se creuser avec l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange. Nous ne voulons pas être un «grand bazar» pour les partenaires économiques. Si on prend en compte aussi les investissements directs étrangers, nous n’avons pas vu vraiment d’investissements dans notre pays, suite à cet accord.

Nous saluons donc la décision de l’Algérie de revoir cet accord pour préserver notre production nationale et ce, à travers notamment la révision du calendrier relatif au démantèlement tarifaire.

A la question de «lobbies», l’Algérie est en pleine transition économique. Nous sommes en phase de passer d’une croissance portée essentiellement sur la dépense publique et l’exploitation des ressources naturelles à un modèle qui favorise l’investissement et d’une manière générale à une économie émergente qui doit être portée par les entreprises.

Cette nouvelle dynamique nous dicte aussi la nécessité d’une ouverture à l’international en matière de partenariat et d’IDE  (investissement  directs  étrangers). C’est pour dire, en fait, que nous ne pouvons pas nous développer en nous nous refermant sur nous-mêmes. Nnous avons besoin de savoir-faire étrangers. Mais nous devons aussi préserver nos intérêts, préserver nos secteurs stratégiques, nos entreprises stratégiques,  … comme d’ailleurs le font tous les pays du monde.

La CAPC a-t-elle une stratégie pour sortir de la crise qui frappe le pays ? Quelles sont les propositions que vous préconisez pour l’émergence enfin d’une véritable économie de marché ?

Il est tout à fait urgent et avant tout d’engager des réformes que je qualifie de structurelles et sans lesquelles il nous sera impossible de construire une économie compétitive. Il s’agit de la réforme bancaire, financière et fiscale, de la modernisation de l’administration économique pour la mettre au niveau requis par la gestion d’une économie moderne et enfin de la stabilité juridique et réglementaire qui régit l’activité économique. Pour la réussite de ces réformes, l’implication des acteurs économiques est de notre point de vue indispensable pour éviter l’inadéquation de ces lois avec la réalité du terrain, éviter l’instabilité juridique et redonner confiance aux opérateurs.

Toutefois, ne perdons pas de vue qu’au-delà de ces réformes urgentes, nous avons besoin d’une vision économique à long terme. Et fidèle à sa vocation de force de proposition, la CAPC est en train de finaliser ce que nous appelons «le  livre blanc». a travers ce document, nous souhaitons apporter notre contribution qui, en fait, reflète la vision des opérateurs économiques.

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