Tilyuna Su : l’art d’associer deux arts

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Tilyuna Su – de son vrai nom Souad Chibout – pratique la philosophie du sablier en sachant se résoudre à la patience, au temps, à la bonne motivation et précision. L’inspiration lui vient telle une eau douce coulant d’une tuile arrosant une autre, parfois elle s’invite, parfois elle la provoque. La qualité de son labeur en phase avec celle de sa personne comme artiste complète (auteure, poétesse, compositrice, interprète et arrangeuse) savent faire la part des choses en primant ce qui appelle à l’honneur et dignité. En greffant de l’espérance à ses moments de concentration et de solitude, c’est à partir de là que la dureté envers sa personne, peinte d’exigence et de clairvoyance inhérentes à ses conceptions, sort de l’ordinaire, car elle sait pertinemment que la lumière du jour suit toujours les ténèbres de la nuit, et seul un travail de fourmis, conçu dans le silence et le sérieux, entretenu dans la confiance et la persévérance, saurait apporter de la saveur au fruit attendu et espéré.

Avec un recueil de poésie kabyle ancienne qui sortira prochainement aux éditions « Tumast Tazrigt Amazigh » (Editions Franco-Berbères) intitulé « SEG YIMI ƔER TIRA » “Isefra n zik n Leqbayel” (Isefra, icewwiqen d tbuγarin), ainsi que deux autres recueils mis en œuvre et achevés en vue d’une publication simultanée comme elle l’attend, l’un sous forme de nouvelles, et l’autre des contes pour enfants « Timucuha n Tilyuna », Tilyuna Su a su réunir courage et volonté non seulement en se penchant sur ses pages gobeuses en suivant à la trace les traces de sa plume, mais aussi à saisir ses instruments de musique. Car dans l’autre monde avoisinant son univers littéraire, il y a également celui des mélodies et de la poésie associées à ses rimes. « Lfusi lfusi », « Igugem nnaqus »  et « Aẓru yettrun » étant les titres de ses Compact Discs sur le marché sortis aux éditions Ifri Music en plus de sa nouvelle (tullist) « Asikel » publiée aux éditions Achab.

La voix pétillante et le verbe frais. Tout se dessine avec minutie sous ses yeux à l’image d’une ouvrière appliquée devant sa toile. La séduction de son verbe rime avec introspection, et celle de sa mélodie avec édification. C’est ce qui forge son esprit et nourrit ses façons.  Il y a un style et il y a du son, comme il y a des connotations poétiques suivies d’envolées lyriques, et cela s’appelle un don. Tilyuna Su est cette jeune artiste qui sait fleurir, par son talent, des bourgeons sur des épines. Là où elle passe, sous ses pas feutrés et sur ses pages vierges, pousse une herbe verte ; là où elle chante, les oiseaux l’imitent en demeurant inertes. La poésie d’une part et la violence qu’elle combat de l’autre. Les rimes d’une harmonie dans son monde et la cacophonie qu’elle refoule dans l’autre. L’équilibre vient de cet esprit ouvert de sa jeune tête faisant allusion à beaucoup de choses dans cette vieille vie tordant les plus vulnérables et dans laquelle grandit et apprend l’innocente âme, la sienne. Sensible, elle a su peindre, à la couleur de ses émotions, la volonté qui la nourrit et les exigences qu’elle exhorte et auxquelles répond graduellement et consciemment sa ténacité. Le sens d’une existence est dans ce qui la motive à progresser en allant droit vers ses objectifs clairs et définis.

L’art, pour elle, est sa façon de chercher le beau. Elle a vu et compris sans avoir l’âge comme elle agît en fonction d’un âge qui a vu et vécu. Elle parle de la vie, de son côté positif qui apaise l’esprit, du bonheur qu’il procure et de l’optimisme qui l’accompagne, comme elle s’interroge sur l’autre vie qui la concurrence, les émotions négatives, la conscience froissée, l’échec qui ramollit et ce dont il nous prive, avec toujours ce relent amer de regret en filigrane, quand à l’automne de sa vie, on se dit que nous sommes partis sans être satisfaits. Elle parle de la liberté en l’écrivant et en la chantant, et elle est Liberté. Elle évoque les voyages sans fin dans ses textes comme elle associe sa voix aux sonorités de ses mélodies, et elle est le parfum conciliant s’emportant au gré du vent. Elle parle de Tamazgha qu’elle parcourt avec le bout de sa plume couleur de la langue de ses ancêtres comme elle la chante pour mieux la peaufiner du timbre de sa voix résistant à tout, et elle est une Tamazight par l’esprit, par la langue, par le sang, et par la chair. Elle parle du désarroi et de l’injustice sociale qui rongent la société comme elle chante l’espoir qui habite les jeunes têtes, et elle est l’exemple de toutes ces âmes damnées s’estimant lésées dans leurs honneurs. Elle parle des douleurs de ses personnages en déphasage avec eux-mêmes comme elle les extirpe avec douceur tout en continuant à se battre pour un lendemain meilleur dans un pays, le sien, en pleurs. Elle sème sur ses pages vierges et passages des graines d’éducation que d’autres récoltent avec attention et satisfaction.

Tilyuna Su a un style d’écriture pur fidèle à elle et un timbre de voix honnête propre à elle. S’inspirant des maisons kabyles de son village Aït-Soula à Chemini, des montagnes de la Kabylie, d’Akfadou à Djurdjura, des brises matinales, des bruines évocatrices et des arbres solitaires l’ayant toujours aidée à aller de l’avant, elle vient par son travail transmettre aux générations futures ce qui serait récolté demain à la bonne saison et pour des raisons s’inscrivant dans la pérennité de l’Histoire des Amazighs, de leur identité et de leurs cultures si riches et si variées. De la cohésion à la fusion, et de l’éclosion à l’évasion en passant par les belles choses qui lui ressemblent, ainsi elle se livre sans préparation dans ce monde qu’elle peint et l’accueille. C’est dans ce contexte que Souad Chibout élabore sa vision des choses en parlant des siens et de ce qui les caractérise. Dans le choix de ses mots face aux maux, une certaine osmose s’invite comme s’applique sa propre conception des choses pour ainsi nous faire ressentir et vivre plus intensément l’ampleur des vagues sur lesquelles on se laisse bercer.         

                                                                                                             Mohand-Lyazid Chibout

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