Mourad El Besseghi, expert financier : « La raison du recensement des grandes fortunes serait de rétablir l’impôt sur la fortune »

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L’Express-DZ : Selon le ministre des Finances, Abderrahmane Raouiya, une commission interministérielle a été mise en place pour procéder au recensement des grandes fortunes dans le pays. Pourquoi à votre avis?

M El Besseghi : Je pense que la raison principale serait de rétablir l’impôt sur la fortune. Un sujet que les représentants du peuple ressassent en permanence à chaque fois que les lois de finances sont en débat dans l’hémicycle.

L’égalité de tous devant l’impôt et la mise en place effective d’une solidarité fiscale ont toujours constitué un casse tête pour le législateur. D’autres pays nantis connaissent avec acuité ce problème puisque ce sujet revient systématiquement au devant de la scène dans les revendications sociales. Les gouvernants sont devant un dilemme inextricable et un arbitrage délicat car trop d’impôt tue l’impôt. Une imposition forte sur le patrimoine ou la fortune, pourrait être à l’origine d’une fuite de capitaux vers d’autres « cieux plus cléments »,  et en revanche, leur exonération est susceptible de créer des tensions au sein de la population et un embrasement du front social. L’équilibre  subtil n’est pas évident à trouver.

En 2017, le projet de loi de finances avait préconisé cet impôt, mais il fut vite retiré par le gouvernement au motif qu’il fallait le murir davantage avant de le mettre en œuvre. Il convient de rappeler que le code des impôts directs contient en son article 276, un impôt dit sur patrimoine qui est un équivalent mais qui concerne les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en Algérie à raison de leurs biens situés en Algérie ou hors d’Algérie et à celles n’ayant pas leur domicile fiscal en Algérie à raison de leurs biens situés en Algérie. Comme il est déclaratif comme l’ensemble des autres impôts, le produit de cet impôt n’a jamais été conséquent en termes de ressources procurées.

Principales difficultés : les sujets qui seraient susceptibles d’être concernés par cet impôt sont identifiés par la direction des impôts qui ne dispose pas toujours des informations nécessaires et exhaustives pour effectuer le recensement des fortunés, comme elle ne possède pas en son sein des capacités techniques diverses pour réaliser ce recensement avec parcimonie.

Pour palier à cela la commission  interministérielle qui a été mise en place pour procéder au recensement des grandes fortunes dans le pays est composée du ministère des finances, du ministère du Travail, de celui du Commerce et des représentants de certains établissements publics, telles que les caisses de sécurité sociale et la direction des impôts. Comme il est mentionné que les hauts salaires seront également introduits dans le recensement par souci d’équité. En fait, il s’agit d’un travail de longue haleine qu’il fallait commencer.

L’Algérie compte à peine 304 experts-comptables. Leu nombre demeure insuffisant pour répondre aux besoins de l’économie nationale, êtes-vous de cet avis?

Il est vrai que le nombre d’experts comptables en Algérie est faible en comparaison avec d’autres pays. La densité de la population des experts-comptables en Algérie est de 7 pour un million d’habitants, alors qu’elle est de 77 pour la Tunisie, de 23 pour le Maroc et de 316 pour la France.

Les causes de cette infériorité numérique sont à rechercher dans l’histoire récente de la profession comptable qui a connu des remous pendant plus d’une décennie laquelle à annihiler toutes velléités de développement de la profession comptable. Ce n’est certainement pas l’attractivité des jeunes vers la profession qui a fait défaut, mais ce sont surtout les turbulences organiques qui ont été à l’origine d’une fermeture hermétique de la profession.

Mais il faut dire que si quantitativement les experts-comptables Algériens ne sont pas nombreux, globalement au plan de la qualité, le niveau technique individuel compense largement cette carence, comparativement à beaucoup de pays.

Il faut préciser qu’autour de ce volant d’experts-comptables, il y a deux mille comptables et commissaires aux comptes installés en cabinet et au moins autant en qualité de salariés, pour encadrer les entités du secteur économique soumises à la tenue d’une comptabilité commerciale et astreintes à des obligations fiscales.

Conscient de cette situation et depuis la dernière réforme de la profession en 2010, les bouchées doubles sont mises en œuvre pour assumer un rattrapage dans la qualité.

Près de 31% de la masse monétaire, soit 4 500 milliards de dinars (33,4 mrds€), circulerait en dehors du circuit bancaire. Pourquoi l’Algérie n’arrive-t-elle pas à canaliser cet argent?

Les chiffres qui sont annoncés par les pouvoirs publics, en ce qui concerne la masse d’argent qui circule dans l’informel sont très contradictoires caractérisés par des écarts importants. Tantôt il s’agit de 2.000 milliards de dinars, sinon 4.500 milliards de dinars, ou 3.000 milliards de dinars, ce qui dénote du manque d’analyse et l’absence de visibilité.

A décharge, il faut reconnaitre que cette masse d’argent non bancarisée est difficile à cerner en raison de sa nature qui ne s’accommode pas du tout avec les règles de la transparence, mais permet à 48% de notre économie d’évoluer dans l’informel, ignorant les canaux bancaires pour les paiements des transactions et sujet par excellence à toutes les fraudes fiscales imaginables.

La bancarisation passe nécessairement par un système financier performant avec pour hypothèse sous-jacente un système d’information capable de drainer toute cette masse d’argent, de redonner la confiance aux épargnants.

Le déficit se creuse pour dépasser les 600 milliards de DA en 2019 pour la caisse nationale de retraite. Quelles solutions faut-il adopter à votre avis pour diminuer ce déficit?

Le système de retraite en Algérie repose fondamentalement sur la solidarité intergénérationnelle, ou les retraités sont payés par les cotisants qui seront eux-mêmes payés à leur tour, demain lorsqu’ils atteindront l’âge de la retraite par les futurs cotisants, et ainsi de suite…

Selon les responsables de la cette caisse, il faut 5 cotisants pour assurer la rémunération d’un retraité. Or depuis quelque temps, le nombre de retraités a connu une croissance fulgurante contrairement au nombre de cotisants qui est resté identique. Le déficit de la caisse des retraites n’est pas nouveau avec 151 milliards de DA en 2014, il a augmenté à 336,8 milliards de DA en 2016, puis à 479,1 milliards de DA en 2017. Si les dépenses prévisionnelles incompressibles sont de 1.200 milliards de dinars pour 2.018, le déficit de la caisse avoisinera 560 milliards de dinars à la clôture. Il connaitra une légère augmentation en 2019, passant à 600 milliards de dinars obligeant les pouvoirs publics à combler ce déficit de façon récurrente, via le Fonds National des Investissements avec des crédits à taux bonifiés.

Pour palier à cela, il y a deux pistes à explorer : celle liée au fonctionnement de cette caisse qui est à revoir de fond en comble avec une réduction sensible des dépenses de fonctionnement, comme il est urgent d’élargir l’assiette du recouvrement en y incluant les travailleurs au noir.

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