Mourad El Besseghi, expert financier : « Les positions prises par l’Algérie sont diamétralement opposées à ceux exprimées par le FMI »

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L’Express-Dz : Le FMI demande à l’Algérie de recourir à l’endettement  extérieur et la dépréciation du dinar. Pourquoi à votre avis?


M El Besseghi : Le Fond monétaire international (FMI) a depuis quelques temps constamment affiché sa réprobation de la politique budgétaire et financière de l’Algérie. En termes très diplomatiques, comme l’exige les usages, les positions prises par l’Algérie sont diamétralement opposées à ceux exprimées par cette institution internationale.

On se souvient qu’au printemps dernier, les prévisions de croissance du FMI pour l’Algérie en 2017 et 2018 avaient été jugées très « inquiétantes » par cette institution et estimées à 1,6% en 2017 et à moins de 1% pour 2018, avec une hausse importante du taux de chômage. C’est bien plus tard, et plus précisément à fin octobre, suite à la visite d’une délégation Algérienne conduite par le ministre des Finances M. Raouia Abderrahmane au siège de cette institution à Washington, que ces anticipations ont été revues, pour se situer à des niveaux plus proches des taux officiels Algériens.

Ces tumultueuses relations ont été plus vives lorsque l’actuel gouvernement avait défendu ardemment dans la présentation de son programme à l’APN, que le recours au financement externe était pour le moment exclu et que l’endettement interne ou le financement non conventionnel qui consiste à faire emprunter par le trésor public des fonds pour financer des investissements productifs était la voie salutaire pour relancer la machine économique.

Selon la dernière situation de la Banque d’Algérie au 30 novembre 2017 publié au Journal Officiel, il y a eu impression de 2.185 milliards de dinars de monnaie, soit environ 19 milliards de dollars américains, afin de financer 2017 et une partie de 2018. Pour boucler l’année 2018, on aurait besoin environ de 1000 milliards de dinars supplémentaires, selon des estimations initiales.

Pour rappel, cette liquidité a été créée sous forme de titre émis ou garantie par l’Etat algérien conformément à l’article 45 bis de l’ordonnance n 03-11 du 26 août 2003 relative à la monnaie et au crédit. En effet, cet article stipule que « la Banque d’Algérie procède, à titre exceptionnel et durant une période de cinq ans, à l’achat direct auprès du Trésor, des titres émis par celui-ci, à l’effet de participer, notamment à la couverture de besoins de financement du Trésor, au financement de la dette publique interne et au financement du Fonds National d’Investissement ». Il est précisé également que ce dispositif est mis en œuvre pour accompagner la réalisation d’un programme de réformes structurelles économiques et budgétaires avec un mécanisme de suivi par le Trésor et la Banque d’Algérie. D’ailleurs ce mécanisme a été mis en place par le décret  exécutif n° 18-86 du 17  du 5 mars 2018 portant mécanisme de suivi des mesures et réformes structurelles avec des prérogatives plus étendues accordées au premier responsable de la Banque d’Algérie dont la mission principale est de  veiller au rétablissement des équilibres de la trésorerie de l’Etat et de l’équilibre de la balance des paiements.

A moins que les cours du brut ne connaissent un raffermissement, ce qui n’est pas évident avec les récentes déclarations des deux principaux producteurs (Arabie saoudite qui est membre OPEP et la Russie qui ne l’est pas) en perspective de la prochaine réunion stratégique de Vienne le 22 juin 2018. Ces deux pays, qui pèsent lourdement dans ce domaine, envisagent de proposer une réduction de l’offre pour éviter la constitution d’excédents sur le marché. Ceci conduirait à une stabilisation des prix aux alentours de 70 dollars le baril dans le meilleur des cas, niveau de prix qui ne permettent, tout à fait, de rétablir les grands équilibres budgétaires de l’Algérie et de sa balance des paiements.

Il faut dire que la position du FMI, tout comme celle de la Banque Mondiale, est exprimée pour constituer un signal fort pour la communauté internationale qui traite avec notre pays. Il est donc important pour l’Algérie que les positions puissent converger et aller dans le même sens.

Il est certain que les positions tranchées n’ont jamais été aussi évidentes.

Le recours au financement externe expose le pays à des risques, et l’Algérie connait très bien cette situation pour l’avoir vécue « dans sa chair », lorsqu’endettée à un niveau insoutenable, elle était boudée par les principaux argentiers dans le monde et avait présenté un profil affaibli dans toutes les négociations.

Les pouvoirs publics ont mis beaucoup d’empressement à rembourser « rubis sur ongle » cet endettement lorsque des moyens étaient disponibles au cours de la première décade de ce siècle. Ce souvenir amer a laissée des traces indélébiles que les cadres financiers et les citoyens ne sont pas prêts de revivre.

Bien que des propositions de financement intéressantes soient offertes à l’Algérie dans le cadre du financement de certains projets structurants, le refus intransigeant de s’embarquer dans cette voie a été quasiment permanent.

La dévaluation du dinar pour le ramener au niveau des cours de change appliqués sur le marché parallèle est également un sujet de discorde entre les positons de cette institution et celle de l’Algérie qui considère que les effets induits (inflation, pouvoir d’achat, chômage) par une telle mesure seraient insupportables et risquerait de rompre la paix sociale.

En revanche le financement par le recours à la planche à billet, accorde au pays un moment de répit, qui peut aller bien au-delà de la prochaine échéance électorale, mais si les réformes structurelles de l’économie, si la diversification des ressources, etc… ne sont pas au rendez vous pour juguler les tensions inflationnistes qui apparaitront en crescendo  durant cette période de cinq ans, les dérapages seront plus intenses et l’avenir très compromis.

L’implication du secteur privé dans le processus de diversification de l’économie est également un sujet de discorde puisque le FMI considère que le processus engagé sur le partenariat public privé engagé en grande pompe puis subitement annulé était une formidable opportunité qui n’a pas été saisie.

 Nous pensons que les positions de cette institution, aussi bien à ce sujet que pour d’autres telle que la dépréciation progressive du taux de change, accompagnée de mesures visant à éliminer le marché des changes parallèle, qui serait susceptibles de favoriser les mesures d’ajustement, ne sont à rejeter d’un revers de la main, mais devraient être injectées avec un dosage homéopathique afin d’en diluer les effets pervers.

Ce n’est pas la première fois dans le monde que les mesures préconisées par le FMI sont ouvertement décriées en raison de leurs conséquences sociales et de leur impact sur les couches vulnérables de la population, même si à terme, les effets projetés découleraient d’une logique implacable.


Le projet de loi organique relative aux lois des finances est présenté au Conseil de la Nation. Quelle lecture faites-vous de ce projet?


Ce projet de loi organique a été approuvé par la Chambre basse et se trouve actuellement en débat au Conseil de la Nation.  Cette loi organique a introduit une réforme générale dans le mode d’élaboration de la loi de finances et de contrôle du budget de l’Etat. Il y a trois grandes séries d’innovation dans ce projet par rapport à l’actuelle loi organique.

Primo, les responsabilités des ordonnateurs publics sont plus précises mais en revanche ces ordonnateurs jouiront, pour la première fois, de la liberté totale de mouvementer les crédits et de basculer librement entre le budget de fonctionnement et celui de l’équipement avec l’obligation de justifier l’utilisation des crédits budgétaires. En d’autres termes, ils devront rendre compte de l’utilisation de l’argent public et démontrer les performances de cette utilisation des deniers publics avant d’obtenir de nouveaux crédits.

La logique dépensière pour évaluer la performance sera remplacée par une logique fondée sur l’efficacité de la dépense et sur la pertinence de l’affectation de la ressource.

Par conséquent, à l’occasion de la présentation des lois de finances, les futurs exécutifs devront soutenir un programme global et non plus sectoriel et compartimenté, sous tendu par des politiques publiques, précisant les moyens à mettre en œuvre pour les appliquer et les actions à engager.

Secundo, la comptabilité de trésorerie qui caractérise les comptes de l’Etat se limite à enregistrer les fonds en entrée et en sortie sera substitué par une comptabilité d’engagement ou l’ensemble des éléments du patrimoine de l’Etat seront reflété et enregistré, comme c’est le cas des entreprises économiques. Pas une mince affaire lorsqu’on sait que certaines entités publiques ne connaissent pas avec exactitude leur patrimoine immobilier, leur dette ou leur créances.

Alors pour connaitre le cout analytique du logement social, de l’acte médical dans un hôpital, des branchements d’eau potable, du kilomètre d’autoroute, etc….c’est un long chemin à parcourir pour y parvenir.

En effet, Il est indispensable que les administrations centrales puissent disposer d’outil informatique intégré de gestion budgétaire, présenter les lois de règlement dans un délai plus rapide que le délai de trois ans.

Tercio, des dispositions sont introduites pour recourir à des textes réglementaires pour gérer les situations d’urgence, pour organiser et limiter les Comptes d’affectation spéciale (CAS), ou pour plafonner les prélèvements annuels à partir du FRR (Fonds de Régulation des Recettes) s’il venait à être alimenté de nouveau.

La loi de finances a toujours été une occasion d’introduire des dispositions diverses qui n’ont rien à voir avec le budget de l’Etat et qui touche des domaines divers. Cette pratique sera abandonnée pour consacrer la loi de finances aux conditions générales de l’équilibre financier et en particulier aux ressources, ainsi qu’aux affectations des moyens pour réaliser les politiques publiques.

L’adoption de ce texte serait d’une grande avancée pour la bonne gouvernance et la transparence. Il inaugurera désormais une nouvelle approche dans la gestion des finances publiques, sachant qu’il s’agit d’une  œuvre de longue haleine qui engagera  l’ensemble des acteurs qui interviennent dans le processus de conception, d’adoption, d’exécution et de contrôle des finances publiques. La première application de la  nouvelle loi organique est prévue pour 2021 avec l’introduction de quelques mécanismes pour atteindre la plénitude à compter de 2023, tandis que la loi de règlement budgétaire concernera l’exercice N-2 au lieu de N-3 à compter de l’année 2023 et passera à N-1 en 2026.


La Banque Mondiale (BM) a maintenu sa prévision de croissance pour l’économie algérienne en 2018, qui restera solide cette année sous l’effet de la hausse des dépenses de l’investissement et de la progression des cours pétroliers. Êtes-vous de cet avis?


Dans son rapport du mois de juin 2018, la Banque Mondiale prévoit un taux de croissance du PIB à 3,5% en 2018 quasi similaire à celui prévu en janvier par cette institution de Bretton Woods.

En effet, il y a une augmentation du budget d’investissement pour 2018, ce qui impactera directement le taux de croissance du PIB, d’autant que ce taux est très souvent tiré vers le haut grâce à la dépense publique et aux investissements consentis dans les différents programmes de l’Etat.

Le raffermissement des cours du brut au cours de ce premier semestre de 2018, n’est certainement pas étranger à la position de la BM, qui maintient la prévision du taux de croissance à un niveau appréciable.

La BM a cependant préconisé à l’Algérie de revoir sa politique protectionniste et les interdictions d’importation de certains produits qui peuvent compromettre la reprise.

Par contre pour les prochaines années, la BM estime ce taux à 2% en 2019 et 1,3% en 2020, soit un statut-quo par rapport à ses prévisions d’avril dernier. L’incertitude qui plane sur les cours du brut qui peuvent dévisser subitement ne permet pas de dresser des prévisions suffisamment fiables. Les risques sont  prépondérants et la hausse récente des prix du pétrole pourrait ne pas être soutenue, contrariée par une production de pétrole de schiste plus importante que prévue aux Etats-Unis, ainsi que la dénonciation des accords d’Alger relatif à la réduction de la production hydrocarbures par la Russie et l’Arabie Saoudite.

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