Ce que mijote la France au Mali

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Le retour du président déchu Ibrahim Boubakar Keita, communément appelé IBK, précède de quelques heures celui du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française, Jean Yves Le Drian, à Bamako. Comme à ce stade de la réflexion stratégique rien n’est fortuit, on estime que l’Elysée cherche à planter son propre décor dans le Mali en construction.  

Première information à saisir : le retour, mercredi soir, 21 octobre à Bamako, de l’ancien président malien Ibrahim Boubacar Keïta, renversé le 18 août par un coup d’Etat militaire, après un séjour médical aux Emirats arabes unis « négocié » par la France et les pays de la CEDEAO avec l’Emirats et l’Arabie Saoudite (laquelle effectue dès le 5 octobre une visite d’Etat à Bamako et adoube, de ce fait, les auteurs du putsch militaire, largement en manque de crédit et de légitimité internationale).

Seconde information de taille, qui, en réalité, fait suite, complète et décrypte la première, la visite de deux jours, du jeudi 22 octobre au vendredi 23 octobre 2020, du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française, Jean Yves Le Drian.

Ne perdez pas de vue qu’IBK a été jusqu’à son éviction l’homme de l’Elysée, qu’il a grandement contribué à retarder l’application des « accords d’Alger », mettant sous tensions les mouvements de l’Azawad, signataires de la convention-cadre et ouvrant largement les portes de son pays à une multitude dangereuse d’armées nationales, régionales et internationales (armée régulière, milices paramilitaires, Minusma, G5-Sahel, Tabuka, Berkhane, etc.). N’oubliez pas aussi que le président Macron a été pris de court par le putsch et qu’il n’a pas reconnu la légitimité de la « bande à Goïta ».

 La visite de Le Driand permettra surtout la signature de cinq conventions au profit du développement du Mali. Selon des sources maliennes, cinq (5) conventions de l’Agence française de développement, pour un montant total de plus de 92 milliards de francs CFA, seront signées entre la France et le Mali au cours de la visite de deux jours du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la France au Mali.

Ces conventions concernent notamment l’amélioration du réseau électrique national, l’amélioration de l’accès en eau potable pour six localités du Mali, l’autonomisation des femmes, les « filets sociaux » de lutte contre la pauvreté notamment par le biais de transferts monétaires et l’accompagnement de la Banque nationale de développement agricole (BNDA) du Mali.

La signature de ces projets n’est que la « matérialisation concrète de l’engagement de l’Alliance Sahel au Mali. »  Trois de ces cinq projets, selon le dossier de presse de l’Ambassade de France au Mali, font l’objet de cofinancements avec la Banque mondiale pour les projets relatifs à l’autonomisation des femmes et aux « filets sociaux » ; avec la Banque européenne d’investissements pour le projet « Boucle haute tension Nord de Bamako ».

 Selon le dossier presse de l’Ambassade de France au Mali, l’ancien ministre de la Défense français saisira l’occasion que lui offre cette visite pour saluer « les récentes avancées du processus de transition au Mali et d’adresser ses vœux de succès aux nouvelles autorités, qui auront à conduire dans les dix-huit prochains mois une Transition devant aboutir à la tenue d’élections crédibles et au rétablissement de l’ordre constitutionnel ».

 Le ministre Le Drian rappellera en outre, la disponibilité de la France « poursuivre son engagement aux côtés du Mali dans cette phase décisive qui offre l’opportunité de lancer les réformes demandées de longue date par la population malienne, notamment le renforcement de la gouvernance, la lutte contre l’impunité, la refonte du cadre électoral et l’engagement face aux défis sécuritaires ».

 La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale sera également au cœur des échanges lors de cette visite de deux jours du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Cette question sera également abordée avec les groupes signataires. Il sera alors question « de faire le point sur le suivi des Sommets de Pau et de Nouakchott et celui plus large de la Coalition pour le Sahel », lit-on dans le dossier de presse.

 L’heure étant aux retrouvailles, et non pas aux fâcheries, on évitera, de part et d’autre, de parler de cette pléthore périlleuse d’armées françaises et européennes, sans grande incidence sur le terrain des opérations, que de voir se dilater encore plus dangereusement les groupes terroristes vers l’Ouest africain. On évitera aussi de ressasser le « marché de dupes » qui avait consister à récupérer une seule otage française (qui avait eu le temps, lors de sa longue captivité, de fin 2016 à octobre 2020, d’embrasser l’islam, faisant Macron et la France officielle grincer des dents) contre la libération de 203 terroristes, jugés ou présumés, mettant sur orbite le chef de « Nosrat al-islam wal muslimin », Iyad Ag Ghali, qui a été le véritable vainqueur de cette transaction unique dans les annales du terrorisme.

   Pour le Mali, désormais devenu terrain de chasse et de guerre des puissances étrangères, toute cette concentration si attention de la part des capitales occidentales n’augure rien de bon. Plusieurs facteurs demeurent inconnus, dont l’attente dépitée des mouvements de l’Azawad, agacée par un jeu sournois qui se passe sous leurs yeux et qui les retient en otages. Dans un précédent entretien que nous a livré Billal Ag Acherif, il est dit que le CMA ne fera pas que de la figuration et attendra son heure pour répondre, positivement ou non, aux agendas fixés par les puissances étrangères et édictées à Bamako, sans la consultation des véritables acteurs du terrain.  

  Autre facteur imprévisible, l’opposition du M5-RFP, dont le forcing avait mobilisé la rue à Bamako et contraint au départ précipité d’IBK, force politique très influente sur la rue et dont la marginalisation du nouveau gouvernement risque de réduire à rien les efforts entrepris pour un retour de l’ordre constitutionnel au Mali.

 On s’en souvient, à peine dévoilée, la liste des membres du gouvernement de transition au Mali a suscité un rejet catégorique du M5-RFP, qui, dans un communiqué, estimait que le nouveau gouvernement « n’est porteur ni de la rupture avec le système qu’il a combattu ni du changement auquel le peuple malien aspire ». Et de préciser que « contrairement à certaines informations relayées par des médias nationaux et internationaux et sur les réseaux sociaux, le M5-RFP affirme n’a pas de représentant dans ce gouvernement dont aucun membre ne peut se réclamer de lui ou prétendre agir en son nom ».     

La grande inconnue de cette équation demeure le vénérable leader religieux, l’imam Mahmoud Dicko, l’homme le plus influent actuellement au Mali. On sait qu’au moins trois ministres du gouvernement sont de ses proches, mais Dicko demeure la « voix de la rue », et pour peu que le peuple se sentira lésé par un pseudo-changement, Dicko reprendra son bâton de pèlerin pour porter la contestation populaire sous le balcon des autorités comme il l’a fait, ce qui avait eu pour conséquence directe de contraindre IBK à l’exil.

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