La société inclusive dont rêve AGRAW Boudjemâa

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Par Mohand-Lyazid Chibout

« Chanter, c’est résister », ainsi résonnait son leitmotiv face à son reflet intègre, son miroir évocateur, quand sa voix, avec dextérité, venait interroger l’univers dans lequel il vivait, tantôt effacé, tantôt ravivé.

 Le timbre de sa voix berce, sa poésie expressive interpelle et son style enchante. Il a tout pour plaire, d’une simplicité sans nom et d’une honnêteté sans égale, Boudjemâa Agraw aborde son monde artistique du haut de ses créations, c’est comme s’il avait sauté des étapes pour aller se percher au dessus des nuages, tout près de son semblable discret, le rossignol.

De son vrai nom, Ouddane Boudjemâa, né à Semaoun, un village de la commune de Chemini niché au sommet de la région montagneuse Aït Waghlis (At Waγlis) à Béjaia en Kabylie, et c’est dans les années 1970, avec le nom d’artiste Boudjemâa Semaouni, qu’il avait commencé à côtoyer le microphone dans les locaux de la radio d’expression berbère, chaîne 2, à Alger, là où il avait enregistré un disque microsillon.

 Au début des années 1980, il avait décidé de sortir de l’ordinaire en essayant ses ailes pour aller explorer d’autres ouvertures plus prometteuses à ses vocations, ces lointains horizons qui viendraient répandre sa bonne volonté sur son parcours afin que poussent ses semences à la bonne saison et pour une bonne raison, celle d’éveiller et de sensibiliser les consciences sur la cause identitaire.

 Le visage rayonnant d’espoir, le voici installé à Paris, et le groupe mythique Agraw, dont Boudjemâa est le fondateur, émergea dans les studios des éditions Azwaw du feu Idir (Hamid Cheriet – Paix à son âme –) et de son lien avec l’Académie berbère, association dédiée aux cultures amazighes. Sa riche discographie en dit long, d’une part sur ses textes engagés dans lesquels nous nous reconnaissons, et d’autre part, sur les sujets de société peints de toutes les beautés avec lesquels nous nous repaissons.

Depuis la décennie noire, beaucoup ont fui l’Algérie, Boudjemâa, par son courage et amour à sa terre natale, a choisi de faire le chemin inverse en évitant les influences aseptisées nouées au syndrome de Panurge. « Etre aux côtés des siens dans les moments durs et bâtir son pays sur des bases solides », ainsi il résumait la cohérence de ses actes avec ses paroles. Auteur-compositeur et interprète, nul ne sait d’où il puise cette richesse ayant accompagné son parcours. Convaincu, vaillant, résistant, intimement humain et farouchement engagé pour une cause légitime, il brave les interdits non fondés, et tant de fois il a été convoqué voire arrêté par les autorités puis relâché.

 Ce qu’on découvre de lui en l’écoutant est que les thèmes abordés sont profondément sociaux, et la singularité de ses chansons s’exprimait sans rien nous imposer sauf à nous orienter vers les lumières de l’autre monde plus clément, cet espoir que lui-même tissait dans la douleur et attente. L’esprit, dès lors, naviguait entre souvenirs douloureux et nostalgie ressuscitée.

Universel, sociable, ouvert, raisonnable et fidèle à lui-même, Boudjemâa demeure comme il demeurera cette icône d’un être épousant tous les âges et sensibilités confondus. Il pointe du doigt le système politique figé et latent, sourd et déconnecté, source de toutes les injustices et inégalités, comme il s’associe aux attentes que réclament le quotidien et l’avenir de la jeunesse. Il revendique les droits de la femme en repoussant les dogmes et l’obscurantisme qui la discriminent et la rabaissent comme il rime les aléas de la vie avec le sort non choisi des pauvres et des exclus de la société.

 Il combat le terrorisme et l’ignorance crasse en exigeant une autre morale plus instructive des mœurs et éducation dans les écoles de nos enfants. Il est dans l’action individuelle en tant qu’artiste engagé avant de l’être dans des mobilisations et mouvements sociaux reflétant les malaises profonds, la démocratie revendiquée et un Etat de droit vertébré dans ses responsabilités.

Car il y a bien de la subtilité dans ses chansons aux airs d’escapade contemplative et aérienne. Boudjemâa Agraw, en souhaitant vulgariser ses connaissances et ses expériences sur la vie, le voici s’adressant avant tout à lui-même tellement l’existence l’avait scindé en deux pour ainsi venir, dans un trait d’union, transposer mélodieusement une partie de soi sur l’oreille qui se berçait tout en lui vouant, en retour, un amour sans bornes.

 Cependant, on apprend mieux de ses propres expériences rencontrées sur son chemin semé de rejets, d’embûches, de douleurs et d’inepties quand son droit de vivre ne rimait point avec son droit d’exister, et c’est de cette philosophie qu’émanait ledit revirement pour être à la fin dans la matrice de sa bonté intérieure blessée plus d’une fois. Tout le bien qu’il témoignait dessinait une nouvelle géographie se voulant mentale avant tout pour ainsi se muer en non conventionnelle, donc privée de frontières et de bouleversements sociétaux.

L’adjonction de quelques fioritures, le voyage à travers l’intérieur de ses mélodies, la puissance de son verbe, l’absolu recherché… Tout cela n’abolit pas l’extrême vulnérabilité à laquelle il nous invite, plutôt il nous engage à ne pas prendre des décisions dans l’incertitude et d’affronter plus sereinement les éventuelles rechutes voire carrément les éviter.

Du moment que l’ailleurs est inaccessible, le rêve de Boudjemâa Agraw dans la société inclusive qu’il réclame est que les consciences conjuguent leurs efforts dans un commun accord, celui de cesser de chercher l’approbation factice des autres en s’efforçant à fasciner sous les feux de la rampe dans l’instrumentalisation de tamazight à des fins personnelles contraires à l’éthique, alors que l’essentiel qui marquera l’Histoire est de faire briller, avant tout, l’identité de son idéal et emblème associés. Le narcissisme et l’égocentrisme font un quand l’intérêt individuel passe avant l’intérêt général, alors que c’est l’inverse qui devrait primer.

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