Entretien avec Dr Tessa Nassima, Épidémiologiste: « On doit s’adapter et ne pas céder à la panique »

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Tessa Nassima est spécialiste en épidémiologie et en médecine préventive. Elle nous parle dans cet entretien du Covid-19 et des mesures d’hygiène et de distanciation sociale à prendre pour juguler sa propagation.

L’Express DZ : Tout d’abord  qu’est-ce que la Covid-19

La maladie à coronavirus 2019, ou Covid-19  (acronyme anglais co=corona, vi = virus, d= disease = maladie, 19 relatif à son apparition en 2019) est une maladie infectieuse émergente, contagieuse avec transmission interhumaine, causée par une souche de coronavirus appelée SARS- CoV-2, un virus appartenant à la famille des coronavirus. La maladie est apparue au dernier trimestre de 2019 à Wuhan, en Chine centrale avec des cas inhabituels de pneumopathie qui s’y sont  multipliées. Au premier trimestre 2020, elle est requalifiée en pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et s’est propagée rapidement sur l’ensemble du monde, de façon majeure.

Dr Nassima Tessa : Certains  adeptes des théories du complot avancent que le virus est créé dans des laboratoires de certaines puissances mondiales. Qu’en  pensez-vous ?

Je ne dispose pas d’éléments précis sur ce point, néanmoins les coronavirus existaient déjà depuis longtemps. Hébergés par des animaux et soudain transmis à l’homme  accidentellement et étaient responsables de deux épidémies mortelles qui sont déjà survenues au 21e siècle, impliquant des coronavirus émergents. Le SRAS-CoV (2002-2003), ou coronavirus à l’origine d’un syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), apparu en Chine : plus de 8 000 cas ont été recensés dans 30 pays et 774 personnes sont décédées (soit près de 10% de mortalité). Le MERS-CoV (2012-2013), ou coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient, ainsi appelé car il a été détecté pour la première fois en Arabie saoudite. 1 589 cas et 567 décès dans 26 pays ont été enregistrées (soit un taux de mortalité d’environ 30%). La troisième épidémie mortelle est celle liée au SARS-CoV-2, apparu en Chine en décembre 2019, Sur le plan virologique, le SARS-CoV-2 est très proche du SRAS-CoV, c’est pourquoi il a été placé dans la même espèce de coronavirus (suivi du chiffre 2 pour le distinguer du précédent). L’urgence  maintenant c’est que le virus est présent parmi nous et crée une pandémie redoutable ; ce qui prime c’est comment y faire face et élaborer une meilleure stratégie de lutte pour l’enrayer et s’organiser pour offrir aux patients la meilleure prise en charge.

Quels sont les symptômes identifiés  jusqu’à maintenant  de cette maladie ?

Les symptômes les plus courants du virus sont : Une fièvre et une toux sèche ou grasse. Certaines personnes peuvent également souffrir de courbatures, de maux de tête, d’une sensation d’oppression ou d’essoufflement. Ces symptômes évoquent une infection respiratoire aiguë. Moins fréquents, la perte brutale de l’odorat et la perte du goût peuvent également présager de la maladie.

La symptomatologie est atypique allant des formes asymptomatiques (sans signes cliniques) qui restent néanmoins contagieuses, au tableau de pneumonie sévère (cas plus graves), qui peut en effet provoquer une détresse respiratoire, une insuffisance rénale aiguë, voire une défaillance multiviscérale pouvant entraîner la mort. A souligner que la covid-19 est caractérisée par un début moins brutal avec aggravation progressive une semaine à 10 jours plus tard. Et pour rappel : la maladie reste bénigne dans 80 % des cas ; elle est grave dans environ 15% des cas et critique dans 5% des cas. Les chercheurs estiment que le taux global de mortalité du virus est d’environde 2 à 4%,avec des disparités selon les pays. Soit un taux supérieur à celui du virus de la grippe qui tue une personne sur mille (0,1%).

Comment se transmet la Covid-19 ?

La maladie Covid-19  due au SARS-CoV-2  se transmeten inter humain par contact direct avec les sécrétions (les postillons, gouttelettes de salive) projetés d’une personne infectée en  toussant ou en éternuant à moins de 1 mètre. Il faut des contacts étroits et prolongés pour la transmettre (famille, même chambre d’hôpital ou d’internat) ou avoir eu un contact avec un sujet  malade, en l’absence de mesures de protection efficaces. Enfin, une transmission indirecte par contact avec des surfaces ou mains souillées par  les sécrétions  sus citées.

On parle aussi de porteurs sains. Ces derniers peuvent-ils aussi  propager la maladie ?

Malheureusement oui, certains patients présentent une forme asymptomatiquedu virus : ils sont porteurs du virus, sans en déclarer les symptômes, mais ils sont contagieux et peuvent le transmettre.

Un animal peut-il lui aussi transmettre la Covid-19 à un humain ?

Les hôtes idéaux des coronavirus, sont les vertébrés volants à sang chaud,  les chauves-souris (pour les Alpha coronavirus et les Beta coronavirus) et les oiseaux (pour les Gamma coronavirus et les Delta coronavirus).  Les coronavirus sont d’origine animale : une espèce « réservoir » héberge un virus sans être malade et le transmet à une autre espèce, qui le transmet ensuite à l’homme.  Dans les cas du SRAS-CoV et du MERS-CoV, l’animal réservoir était la chauve-souris « le virus est asymptomatique chez cet animal, puis un hôte intermédiaire est donc nécessaire à la transmission de ces virus à l’homme : la civette palmiste masquée pour le SRAS-CoV, vendue sur les marchés et consommée au sud de la Chine, et le dromadaire pour le MERS-CoV. » En ce qui concerne le SARS-CoV-2 (virus responsable de la covid-19), le réservoir pourrait également être la chauve-souris, une équipe de chercheurs chinois de l’université d’agriculture du sud de la Chine a estimé que le chaînon manquant pourrait être le pangolin, un petit mammifère à écailles, en voie d’extinction. On peut penser que la contamination humaine est survenue lors de la manipulation de ces mammifères dont on utilise les écailles dans la pharmacopée traditionnelle chinoise et dont on consomme la chair

On parle la non-résistance de ce virus à des températures de plus 32 degrés pour dire qu’il disparaitra de lui-même  vers les mois de mai et juin.

Jusqu’à présent, aucune information, ni argument scientifique ne permet d’affirmer si le froid a un effet sur le virus. De la même façon, il est trop tôt pour savoir si le coronavirus disparaîtra avec l’arrivée des mois à température élevée. Certains chercheurs pensent que sa  propagation sera freinée, mais aucun ne s’aventure à affirmer quoi que ce soit. Par contre, il est avéré que des pays au climat chaud et humide recensent des cas de Covid -19.

Quels conseils donneriez-vous à la population pour éviter d’attraper ou de transmettre cette maladie ?

A l’heure actuelle le confinement de la population est fortement indiqué, c’est ainsi que nous pourrons agir sur la vitesse de propagation de l’épidémie. Lavage fréquent des mains à l’eau et au savon liquide ou friction à la solution hydro alcoolique. Désinfecter les surfaces de contact collectif telles que les passes et poignées de portes, les rampes d’escaliers, les boutons d’ascenseurs… Les personnes présentant des symptômes de grippe doivent porter des bavettes (masques) et éviter de rentrer en contact avec les personnes saines. Tousser dans un mouchoir à usage unique et éternuer dans le pli du coude. Je tiens à attirer l’attention sur certaines habitudes coutumières et socioculturelles qui sont à proscrire ces jours ci telles que les visites aux malades à domicile ou à l’hôpital, visites rendues aux sujets âgés. Il faut éviter les embrassades ou de se serrer la main. Réduire temporairement tout rassemblement tel que les fêtes, les manifestations sportives et culturelles. C’est dur de le dire mais à éviter même les veillées funèbres, et elles sont strictement interdites lorsqu’il s’agit d’un décès suite au covid-19.

Quelle est votre analyse de la situation épidémiologie en Algérie ? Pouvez-vous nous dire approximativement  dans combien de jours  le pic sera-t-il  atteint dans notre pays ?

La situation en Algérie semble difficile à analyser et aucune prévision ne peut être prononcée en ce moment tant que le nombre des contaminés n’aura pas atteint son apogée, suivie d’une stabilisation de la courbe. Certains spécialistes réfutent un éventuel pic de la pandémie au cours de cette semaine ou la semaine prochaine. A  noter qu’en ce moment nous somme en pleine ascension de la courbe épidémique, je m’explique : le nombre de cas enregistrés sera en hausse cette semaine et la semaine prochaine (entre le  29 mars et le 11 avril), chose attendue puisque la période d’incubation de 14 jours vient de s’achever et donc tous les cas positifs vont apparaitre, évolution incontournable et attendue de la courbe épidémique.

Les mesures prises actuellement par les autorités du pays sont –elles suffisantes pour juguler cette épidémie ?

Dans notre pays, cette épidémie est survenue dans une conjoncture politique, économique, et socioculturelle un peu particulière, néanmoins. La stratégie adoptée est correcte. Les mesures rejoignent celles édictées par l’organisation mondiale de la santé. Quant au manque de moyens de protection, de tests de dépistage, des lits de réanimation, notamment de respirateurs, cela a été signalé même par les pays développés que dire donc de l’Algérie. Ce qui est certain c’est que pour juguler l’épidémie, les moyens humains et matériels mobilisés et les mesures prises par les autorités à eux seuls ne suffiraient pas si les gens ne respectent pas les recommandations des autorités politiques et de la communauté scientifique.

 Je  vous laisse conclure

Le fait est là et on doit agir sans paniquer, notre pays est déjà touché et il le sera d’avantage dans les jours à venir, on ne peut pas échapper à l’évolution de cette épidémie à l’instar des autres pays, néanmoins l’application des mesures barrières sus citées, et un confinement strict bien appliqué par la population algérienne toute entière pourra atténuer les dégâts. Dans quelques semaines cette pandémie ne sera que  statistiques et mauvais souvenir mais en attendant la vigilance et le respect du confinement est de mise. La discipline de chaque citoyen est déterminante, chacun doit  être conscient et responsable de cette situation extrêmement grave.

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