Exclusif Entretien avec le Pr Yazid Yazibène:  » « Une première en Algérie, en matière de chirurgie endoscopique »

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Chirurgien ORL et de la base du crane, le Pr Yazid Yazibène a exercé  à l’hôpital public   en qualité d’enseignant chercheur hospitalo-universitaire durant  une  dizaine d’années, avant de rejoindre le secteur libéral.

Ces derniers jours, il a réussi une  première en Algérie, une exérèse par voie endoscopique pure, à travers l’orifice narinaire  d’une tumeur solide (osseuse),  développée à l intérieur de l’orbite. A l’occasion de cet exploit, nous l’avons interrogé sur le système sanitaire du pays  et sur les progrès enregistrés en chirurgie endoscopique dont il est l’un des brillants  spécialistes.

L’Express DZ : Tout d’abord, que peut-on dire, actuellement  de manière générale, de la santé des Algériens ?

C’est un vaste sujet mais je vais tenter d’en résumer l’essentiel. Comme tout le monde la sait, le secteur de la santé connait des difficultés comme tous les autres secteurs économiques ; conséquence d’une crise économique que connait le pays, plus particulièrement  après la chute du prix du pétrole. Néanmoins,  l’état de santé des Algériens n’est pas aussi mauvais qu’on le prétend, notamment sur les réseaux sociaux. C’est vrai qu’il existe réellement des  indices épidémiologiques  alarmants, tels que l’apparition de certaines épidémies révolues depuis plusieurs années chez nous et l’élévation du taux de mortalité fœto-maternelle, mais en parallèle, on peut citer l’espérance de vie qui s’élève à 78 ans ces dernières années. Ce paramètre étant un bon indicatif de l’état de santé d’une population.

L’Algérie a engagé de profondes réformes pour améliorer son  système sanitaire, mais partout à travers le pays  des patients  se plaignent des prestations fournies.  Qu’est ce qui explique, selon vous cet état de fait ?

Beaucoup de choses expliquent cette situation. Il existe un manque de structures de santé sur tout le territoire national. Il faut savoir que depuis l indépendance, peu d’hôpitaux sont construits pour une population qui avoisine actuellement  les 45 millions d’habitants. Les structures existantes  se retrouvent étouffées et dépassées par le nombre important de malades. Le personnel se retrouve dans l’incapacité de faire face à un nombre important de malades, ajoutant à cela le phénomène de la fuite du personnel soignant (médical et paramédical) vers le secteur libéral et vers l’étranger. A ce titre, on recense, pas moins  de 10.000 médecins, installés  uniquement en France. Ce phénomène de fuite du personnel médical  vers d’autres cieux  est aisément  est du essentiellement au  manque de motivation salariale et aux  conditions du travail défavorables.

Peut-on  actuellement avec les moyens dont dispose le pays changer cette situation décriée par tout le monde ?

Je reste optimiste et des solutions existent forcement. Personnellement je crois que c’est une question de volonté, on peut toujours améliorer la situation, même dans des situations de difficulté financière, on se basant sur une bonne gestion des moyens et infrastructures existant, mais surtout en valorisant  le potentiel humain qui reste à mon sens un facteur déterminant dans l’organisation du système de la santé, qu’il s’agisse du personnel soignant ou des gestionnaires.

 Beaucoup de malades n’ayant pas les moyens de se faire soigner dans le secteur privé, attendent parfois plusieurs mois pour être pris en charge dans le secteur public. S’agissant des soins à  l’étranger, tout le monde sait qu’il faut avoir  des « bras longs et des épaules larges » pour espérer en bénéficier. Vous qui avez travaillé dans le secteur public et privé, que proposez-vous pour remédier à cette situation  constamment décriée  par la population ?

Les deux secteurs libéral et public doivent être complémentaires, car en finalité leur mission est de procurer des soins de qualité aux citoyens algériens.

Le gros problème réside dans le système de la sécurité sociale qui prend mal en charge les patients, notamment dans le secteur libéral. En effet, la grille de codification  (le fameux K) de remboursement des actes médicaux n’est pas mise à jour et remonte aux années 80. A titre d exemple, une consultation spécialisée est remboursée à 100 da et celle du généraliste à  50 da, alors qu’on réalité le malade dépense de 2000 da pour une consultation spécialisée  et 1000 da pour une consultation chez le médecin généraliste. Il est de même pour les examens complémentaires et les actes chirurgicaux.  Un examen radiologique, type scanner par exemple, est remboursé à la hauteur de 900 da, alors que son coût réel est de 12000 da. Des gestes chirurgicaux qui n’existaient même pas durant les années 80 ne figurent pas sur la grille de codification, Etc.

On comprend le mécontentement du citoyen qui se plaint de la cherté des honoraires, mais malheureusement, il ne comprend pas souvent que la santé a un coût et que c’est sa contribution salariale qui devait le prendre en charge, via la sécurité sociale.

Il est de même pour le secteur public qui demeure un secteur étatique budgétivore mais sans efficacité réel. On se retrouve dans une situation ou Le fonctionnaire se voit mal payé et le patient se voit mal pris en charge, ceci malgré des efforts indéniables de la part des autorités. A cet effet, plusieurs reformes ont été faites et qui restent vaines et parfois non appliquées, à l’image du projet de contractualisation des hôpitaux qui malheureusement n’a pas vu le jour.

Enfin, des ponts entre les deux secteurs privé et public doivent être tissés sous forme de conventions, permettant de combler les insuffisances dans les activités de soins, notamment dans les zones éloignées, et pourquoi pas la formation médicale continue, sachant qu’il existe des compétences et des experts qui exercent dans le secteur libéral qui peuvent contribuer à hisser le niveau de la formation des générations de jeunes médecins, en collaborations avec les facultés de médecine.

Les citoyens  ne cessent, par ailleurs, de s’insurger contre le fait que  les responsables  et leurs familles se soignent souvent à l’étranger aux frais des contribuables. Que préconisez-vous pour  faire  cesser cette politique de privilèges et deux poids, deux mesures ?

 C’est le rôle de la commission nationale qui est responsable du tri des dossiers de malades qui nécessitent réellement des soins spécifiques à l’étranger.

D’autre part, et à mon humble avis,  la solution réside dans la création de centres de référence (centres d excellences) par spécialité, qu’ils soient publiques ou privées, et qui seront dotés de moyens matériels et d un personnel qualifié. Ces centres seront capables de procurer des soins de haute performance et peuvent prendre en charge des pathologies complexes et variées, permettant ainsi de réduire considérablement le nombre de patients transférés à l étranger et d’économiser des budgets conséquents. A  ce titre, des structures pareilles existent déjà, à l’image des hôpitaux spécialisés en chirurgie cardiaque. Il suffirait alors de faire l extension vers les autres spécialités, en prenant en considération la fréquence des maladies qui posent problème à l’échelle nationale.

Revenant à votre spécialité .Y a-t-il progrès en matière de chirurgie endoscopique en Algérie d’une manière général et dans votre spécialité (ORL) en particulier ?

 La chirurgie endoscopie est une spécialité assez récente dans le monde et qui ne cesse d’enregistrer des progrès indéniables. Son principe général est d’accéder à une zone anatomique malade du corps humain, à travers un orifice naturel ou à travers une petite ouverture externe, en utilisant un endoscope muni de camera et de faire le geste en regardant a traves un  moniteur (video chirurgie). C’est une chirurgie mini invasive qui procure un confort au malade  en réduisant la durée d’hospitalisation, et évite le  préjudice de la cicatrice externe.

Cette technique offre plus d’efficacité (plus de précision), réduisant ainsi  le risque de complications.

En ORL, l’endoscopie est en plein ascension. Les trois organes de la spécialité (oreille-nez-Larynx) sont concernés par la chirurgie endoscopique et on assiste à une diminution de l’incidence des voies de bords externes mutilantes. Il existe à travers le territoire national, des compétences dans le secteur public et dans le secteur  libéral  aussi, qui maitrisent cette chirurgie et qui réalisent de véritables prouesses chirurgicales qui n’ont rien à envier à celles réalisées à l’étranger.

Vous avez opéré récemment un patient d’un ostéome-ethmoido-fronto-orbitaire avec succès. On nous a dit que c’est une première en Algérie vu la complexité de l’opération. Pouvez- vous nous en parler ?

Tout d’abord je tiens à remercier le patient et son médecin traitant qui me l a orienté  pour leur confiance.

Effectivement, c’est une première en Algérie, il s’agissait d’une exérèse par voie endoscopique pure, a travers l’orifice narinaire  d’une tumeur solide (osseuse),  développée a l intérieur de l’orbite, a point de départ sinusienne (ethmoide), occasionnant un trouble de la motricité de son œil(le patient voyait double en vision latérale), il souffrait aussi de céphalées et d’une exophtalmie (protrusion de l’œil droit). Le patient avait subi une intervention pour cette tumeur quelques années auparavant par voie externe, sans succès, mais laissant un préjudice esthétique et psychologique considérable (le patient garde une dépression osseuse visible sur le front).

Grace à la qualité des moyens dont dispose notre clinique et à mon équipe d’anesthésie que je tiens à  remercier, nous avons pu réaliser l’exploit, en réussissant à enlever en totalité la tumeur osseuse ; toute en préservant la fonctionnalité de l œil et sans aucune cicatrice externe,  au bonheur du patient surtout, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement.

Un dernier mot.

 Après 10 ans d’exercice a l’hôpital en qualité d’enseignant chercheur hospitalo-universitaire et 3 années dans le secteur libéral,  et après avoir opéré dans les quatre coins du pays et dans différentes structures, je peux dire que nous possédons un potentiel humain hors pair , formé de jeunes compétences dans le domaine de la médecine, toute spécialité confondue qui peuvent relever tous les défis, et à qui  et je souhaiterai vivement qu’on leur donne les moyens nécessaires pour qu’ils s’épanouissent dans leur propre pays, de les  valoriser et les encourager pour qu’ils restent soigner leur concitoyens au lieu de les voir travailler à l’étranger.

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