Entretien : Arrestation des ministres et des hommes d’affaires, indépendance de la justice… Les explications de l’avocat Salah Hannoun

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Salah Hannoun, avocat et défenseur des droits humains nous livre dans cet entretien sa lecture des affaires de justice engagées contre des soutiens au régime de Bouteflika. L’indépendance de cette institution … Il évoque les procédures, leur impact et l’affaire du docteur Fekhar. Didactique et direct l’avocat n’a laissé aucune zone d’ombre de ce qui se passe actuellement dans le pays dans son contexte politico-judiciaire.

 

L’Express DZ: Depuis le soulèvement citoyen, la justice sort subitement de sa léthargie pour engager des poursuites contre des hommes d’affaires, des responsables politiques …, quelle lecture faites-vous de cette procédure ?

Maître Salah Hannoun : Ab Initio , il faut qu’on se mette d’accord sur la notion des concepts. En parlant de « soulèvement », cela peut sous-entendre une action/réaction spontanée(s) face à un problème politique précis.  D’ailleurs, le traitement médiatico-politique a tendance à forcer cette conception des événements politiques qui secouent le pays depuis le 16 février dernier. A la lecture des uns et des autres, on finit par croire que ce sont des événements sortis ex-nihilo. C’est une erreur de le croire car la lame de fond qui traverse la société vient de très loin. Il ne s’agit point d’une action spontanée mais de la résultante d’un long combat politique, mené par des femmes et des hommes, des militants de convictions, depuis des décennies. Rien que pour ces quatre dernières décades, on peut citer, pour l’exemple :

  • le Printemps berbère d’avril 1980, un mouvement foncièrement démocratique, identitaire, laïc et social, qui a ébranlé l’édifice totalitaire du Parti-Etat FLN ;
  • la création de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme en 1985 ;
  • les événements d’octobre 1988 ;
  • la résistance citoyenne face à l’intégrisme islamique et à son corollaire le terrorisme islamiste ;
  • la lutte contre l’oubli et la trahison portée par le CNOT;+
  • la lutte contre le code de la famille, plutôt de l’infamie, et pour la consécration de lois civiles et égalitaires ;
  • le Printemps noir de Kabylie de 2001 avec son lot de 126 jeunes assassinés par les gendarmes et des centaines de blessés et de victimes multiples;
  • la protesta citoyenne contre la multiplication des mandats de l’ex-Président ;

C’est donc la synergie de ces énergies qui permet, présentement, à ce mouvement d’avoir une assise populaire et de s’ancrer dans la durée. D’une certaine façon, les leçons du passé commencent à être retenues.

Facebook, Twitter et autres moyens de communication modernes ne sont que des vecteurs techniques. Ils permettent la portabilité de l’action politique mais ne la font pas. Cette nuance est lourde de sens. Cette indispensable clarification faite, notre analyse de la situation est avant tout politique.

Le contexte dans lequel ces affaires sont traitées s’impose derechef : le changement de paradigmes au sein de la hiérarchie militaire qui donne, pouvoir politique de fait oblige, une forme de légitimité à toutes ces actions judiciaires. On oublie souvent que le Chef de l’Etat-Major de l’ANP est tout aussi vice-ministre de la défense.

Son rôle est donc politique, au niveau des  institutions officielles de l’Etat, même si cela n’est pas assumé en tant que tel. Cette forme de protection politique de l’armée, comme l’ancienne angusticlave, de fait et non pas de jure, conjuguée aux revendications politiques citoyennes qui exigent le jugement des hauts responsables considérés comme étant les vecteurs porteurs de la corruption, permet un début de compréhension du lancement du rouleau compresseur actuel avec, notamment, les mises sous mandat de dépôts des deux derniers premiers ministres.

Nonobstant l’hypothèque politique qui pèse, à juste titre vu les fâcheux précédents, comme l’épée de Damoclès, sur la portée politico-judiciaire des récentes procédures judiciaires, avec la crainte qu’elles soient plus une forme de réajustement politique au sommet du pouvoir qu’une véritable lutte contre la corruption qui gangrène les institutions de l’État avec ses ramifications sur le tissus socio-économique, il est utile d’insister sur la nécessité du respect de la norme de droit et sur l’indispensable procès équitable.

Nous constatons aussi que la sérénité qu’exige le traitement de pareils dossiers n’est pas au rdv. Ceci est de nature à porter préjudice au déroulement de la procédure car le temps de la justice n’est ni celui des médias ni celui des attentes populaires qui, elles, se nourrissent de l’instantané, obligation de résultats oblige. Il faut du temps pour que justice soit rendue.

Une justice qui doit dire le droit, dans le respect des droits des prévenus/détenus et de la présomption d’innocence, mais qui doit protéger la société de la spoliation de ses biens publics par une mafia politico-financière, dénoncée par feu Boudiaf en juin 1992, ayant pris racine dans les hautes institutions de l’État.

Une certitude, tant que l’État de droit n’est pas consacré, tant que la séparation des pouvoirs reste un vœu creux, toutes les interrogations et autres suspicions des citoyens resteront légitimes.  Le pouvoir est donc attendu sur ce point.

La justice est-elle, selon vous, assez indépendante pour engager la lutte contre un fléau aussi dévastateur que la corruption ?

Spontanément, on est tenté de répondre par la négative car une telle institution ne peut pas faire sa transformation du jour au lendemain, surtout quand on constate que la nature  dictatoriale du pouvoir n’a toujours pas changé.

Cependant, la complexité de la situation nous impose de nuancer une telle réponse car la notion de l’indépendance de la justice est le serpent de mer qui refait surface à chaque étape historique du pays.  C’est ainsi que la question n’est pas de savoir si elle est assez indépendante ou pas trop. Le principe de l’indépendance est un socle systémique uniforme qui n’accepte pas son morcellement. De ce fait, la réponse est à plusieurs variables :

  1. sur le plan formel, celui de la norme légale : le corpus juridique du pays consacre l’indépendance de la justice, notamment l’article 156 de la constitution. Ce sont presque les mêmes normes universelles, consacrées en France notamment. Sur cette base légale, les magistrats ont donc les références juridiques et les textes de loi qui consacrent leur indépendance ;
  2. sur le plan politique : le pouvoir politique en Algérie a une définition assez archaïque de la place de la justice au sein de l’État. C’est la conséquence de sa politique dictatoriale. Les dirigeants politiques restent encore prisonniers de l’approche boumédienniène de la justice, celle-ci ayant été imposée comme fonction judiciaire -et non pas pouvoir judiciaire- dans la constitution de 1976. Le personnel politique actuel n’ayant que très peu changé, malgré le changement de siècle et la profonde mutation de la société algérienne, les désastres de cette vision étriquée de la justice continue de faire des ravages ;
  3. sur le plan intrinsèque : on l’oublie souvent mais les magistrats sont, comme les médecins, les avocats, les journalistes et autres, les produits de cette société, avec toutes ses limites. Ils sont soumis au même formatage idéologique et politique. Une foi s cette lapalissade énoncée, on peut tenter d’avoir une approche rationnelle de la problématique de fond. Ces magistrats ont besoin d’avoir un environnement sain pour pouvoir exercer sereinement leurs régaliennes prérogatives.

C’est ainsi que, tant que le Conseil supérieur de la magistrature n’est pas indépendant du pouvoir exécutif et tant que le lien hiérarchique officiel entre la Chancellerie et le Parquet n’est pas coupé de jure et de fait, l’indépendance de la justice restera une espérance, au mieux, et une chimère, au pire. In fine, l’indépendance de la justice n’est point affaire de profession de foi, d’opérations mains-propres sporadiques et de moyens matériels. La problématique est systémique. C’est, plutôt, la jonction de tous les points ci-dessus énumérés, en sus de l’engagement humain pour sa consécration au quotidien, dans une affaire de simple police, comme dans une affaire de corruption impliquant des notables du pouvoir.

Sur le plan de la procédure, l’institution judiciaire a-t-elle respecté les normes requises ?

En Algérie, le respect de la vitrine légale est une constante chez les tenants du pouvoir. Donner l’image d’une démocratie formelle respectueuse de ses institutions est une priorité, quitte à froisser les droits les plus élémentaires du citoyen. Une fois cette maxime posée, et sans préjuger des éléments constitutifs des dossiers qui sont pendants actuellement devant les juridictions compétentes, il ressort que la procédure formelle est grosso modo respectée : ouverture d’enquêtes préliminaires par la police judiciaire, sur réquisitions du Parquet, auditions des mis en cause, leur inculpation et leur mise en détention préventive, par ordonnance des juges d’instruction, avec constitution de la défense qui a accès à la totalité des actes procédure.  A ce niveau de procédure, c’est tout ce qu’il y a de plus classique en termes d’application du code de procédure pénale.

Même les ordonnances de mandats de dépôt pourraient être justifiées, compte-tenu des personnalités des prévenus et la sensibilité de leurs cas, ceux-ci pouvant se soustraire à la justice à tout instant en quittant le territoire national, contrairement aux dossiers des militants politiques détenus à cause de leurs opinions politiques, tout en gardant à l’esprit que la liberté doit rester la règle, conformément à la loi. Dans ce sillage, le privilège de juridiction a été mal interprété par les citoyens, ne comprenant pas la non inculpation des ministres par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’ Hamed.

Pour eux, c’est la preuve que cette opération est factice. Pourtant, ce privilège a été instauré par l’article 177 de la constitution de 2016, inhérent à la création de la Haute Cour de l’État (HCE), pour juger le président de la république, pour haute trahison, et les crimes et délits commis par le premier ministre, dans le cadre de l’exercice de leur fonction, et par l’article 573 du code de procédure pénale, qui donne à la Cour suprême la compétence d’attribution pour juger les infractions commises par un membre du Gouvernement, un magistrat de la Cour suprême, un wali, un président de la cour ou un procureur général près une cour.

Au stade actuel, le gros souci est en lien avec cette Haute Cour de l’État. La loi organique y afférente n’est toujours pas adoptée. Se pose donc la question de la nature de la juridiction qui serait appelée, si renvoi il y aurait, à juger les premiers ministres Ouyahia et Sellal. Mettre sur pied cette HCE (adoption de la loi organique et des textes d’application, désignation de ses membres, la budgétiser, etc) en un laps de temps aussi court ? Faire en quelques mois ce qui n’a pas été fait en 03 ans, c’est de l’improvisation totale mais à l’image de la gestion chaotique des affaires du pays.

Cette question est donc cruciale et le pouvoir doit lui donner une réponse qui, dans tous les cas de figure, prouve que cette juridiction ne faisait pas partie des priorités, vu l’impunité dont jouissaient les membres du pouvoir, jusqu’aux arrestations récentes. Ceci pour la justice civile. Quant à la justice militaire, la situation est autre. Non pas qu’elle n’applique pas le code de procédure pénale et/ou le code de justice militaire mais c’est le principe de son existence même qui est problématique, en sus de certaines nuances qu’elle impose à la règle générale. Pour l’exemple, l’alinéa 2 de l’article 18 du code de justice militaire est assez édifiant : « – Devant les juridictions militaires, la défense est assurée par les avocats inscrits au barreau ou par un militaire agréé par 1’autorité militaire. Toutefois, dans les affaires relatives aux infractions spéciales d’ordre militaire prévues dans le présent code, le défenseur choisi par l’inculpé ne peut assister, défendre ou représenter ce dernier, tant au cours de 1’instruction qu’a 1’audience, que s’il y a été autorisé par le président du tribunal militaire permanent saisi ; dans le cas contraire, le défenseur est désigné par le président. » L’avocat choisi par le prévenu doit demander l’autorisation au président du tribunal militaire permanent afin de pouvoir se constituer et défendre son client.

Cet alinéa est en violation flagrante du droit à la défense consacré par la constitution algérienne (articles 169 et 170) et par les conventions internationales ratifiées par l’Algérie. Cette justice qu’on peut qualifier d’exception trouve sa justification dans les cas de guerre. Fort heureusement, ce n’est pas le cas. Il est utile de rappeler que  nous faisons ici focus sur les principes généraux car, concrètement, et à notre connaissance, les confrères n’ont pas rencontré d’obstacles pour se constituer dans les dossiers en instruction actuellement au tribunal militaire permanent de Blida. Dont acte.

L’Algérie démocratique devra donc se pencher impérativement sur ce chantier afin d’uniformiser et la règle de droit et sa pratique judiciaire. Enfin, dans tout processus judiciaire, il n’y a pas que le respect de la norme juridique. Il y a aussi l’approche que peuvent avoir les magistrats du dossier, à charge et à décharge. C’est souvent à ce niveau-là que l’élasticité devient norme et la porte ouverte à tous les abus.

Indépendamment des affaires de corruption, récemment, le militant Fekhar est mort en détention, d’autres pour leurs opinions sont actuellement en prison, selon vous, une justice qui emprisonne des militants st-elle « légitime » pour mener une quelconque lutte contre la corruption ?

Nous ne le dirons jamais assez : le décès du docteur Fekhar, un militant démocrate, est un drame humain, politique et judiciaire. Dans son cas, la responsabilité de l’État, selon ses ramifications, est engagée car il a failli dans son devoir de protection.

C’est un constat amer. La plainte de la famille du défunt, qui sera portée par notre confrère Maître Dabbouz et par le collectif de défense, permettra d’identifier les responsabilités et ouvrira la voie à un procès public. Cette étape est cruciale car ce décès ne doit pas rester impuni. C’est axiomatique : le déni de justice ouvrira la porte à d’autres dérives et à d’autres drames. Dans les cas des autres militants en détention, nous attendons des gestes forts de la part des juridictions compétentes, toujours sans préjuger des dossiers, afin de mettre un terme à ses détentions que nous considérons comme arbitraires, vu que ces militants n’ont fait qu’exercer leur droit constitutionnel à la liberté d’expression.

La justice ne doit pas se muer en un pendant d’une politique répressive du pouvoir. Et c’est dans la lignée de cette démarcation que la justice saura acquérir la légitimité nécessaire pour traiter tous les dossiers, conformément à ses compétences d’attribution. Actuellement, il y a des signaux positifs. On en prend acte mas nous ne sommes point naïfs. Nous interprétons ces signaux à l’aune des mutations politiques que nous vivons depuis quatre mois.

Tout dépendra donc des répercussions politiques de la protesta citoyenne actuelle. Ces magistrats se sont exprimés publiquement pour l’indépendance de la justice. Le Syndicat national des magistrats a porté à sa tête un magistrat qui fait montre d’une volonté d’indépendance et de son envie d’extirper ce syndicat des griffes des marionnettistes politiciens. Ces exemples concrets entrouvrent une porte faite d’espérances, malgré les fâcheux précédents et les fortes résistances des forces de l’inertie qui restent encore assez fortes.

Ces forces sont encore imposantes, notamment au sein du pouvoir, car elles ne peuvent pas accepter que la justice soit un réel pouvoir indépendant, conformément à l’article 156 de la constitution. Une justice indépendante doit mettre un terme à l’impunité. Elle doit rendre justice pour les victimes du terrorisme islamiste en condamnant leurs bourreaux qui ont bénéficié de la complicité politique du pouvoir. Elle doit s’occuper des dossiers des 126 jeunes assassinés par les gendarmes lors du Printemps noir de Kabylie en 2001.

Dans ce cas, l’ex premier ministre Ouyahia, qui était l’un des piliers du pouvoir quand l’ordre de tirer sur des manifestants pacifiques a été donné, doit rendre des comptes sur ce crime d’État, qui reste impuni depuis 18 ans, maintenant que la justice s’intéresse à sa responsabilité judiciaire dans sa gestion des affaires de l’État. Elle doit tout aussi protéger les militants défenseurs des droits humains, maintenant que les velléités répressives du pouvoir refont jour.

Cependant, nous le répéterons à satiété, seul l’État de Droit sera de nature à garantir l’indépendance de la justice et à prémunir les magistrats de toutes les néfastes pressions.  l’État de droit, la seule légitimité du pouvoir judiciaire.

Vous aviez interpellé l’Ordre des médecins sur la prise en charge médical du Dr Fekhar, pourquoi ?

Le décès du Docteur Fekhar est révoltant. Il est inconcevable qu’un militant pacifiste, médecin de surcroît, meurt en prison. Nous ne le dirons jamais assez : le Dr.Fekhar est mort en tant que détenu politique et d’opinion. Sur le plan politique, en militant pour une Algérie moderne et démocratique, il s’est inscrit dans  la lignée de ces nombreux médecins qui ont été à l’avant-garde du combat démocratique durant les années 70 et 80.

Le mouvement démocratique et amazigh a surtout été porté par le corps médical du CHU de Tizi-Wezzu notamment. C’est l’une des raisons qui font que nous ayons considéré comme assourdissant le silence de la corporation médicale face au décès en détention de l’un des siens, qui a repris le flambeau délaissé de la défense des droit de la personne humaine, un sacerdoce consacré par le serment d’Hippocrate.

Sur le plan judiciaire, la famille du défunt et notre confrère ont apporté des accusations graves quant aux lacunes constatées dans la prise en charge médicale (plutôt la non prise en charge) depuis la détérioration de sa santé suite à la grève de la faim. Ces lacunes, qui peuvent avoir une qualification d’infractions pénales, sont appelées à connaître un prolongement judiciaire avec la plainte qui a été déposée par la famille dans ce sens.

A partir du moment que ladite prise en charge est remise en cause, il était donc important d’entendre la voix des représentants du corps médical afin d’apporter des éclaircissements sur cette tragédie humaine qui aurait pu être évitée.

Au-delà du cas du Dr.Fekhar, c’est toute la problématique de la prise en charge médical des détenus en général, et des détenus d’opinion en particulier, qui se pose. Cela fait partie des compétences d’attribution des Ordres régionaux et du Conseil National de l’Ordre des Médecins dont le président a fini par réagir publiquement, en sus de la déclaration du collectif des professeurs en médecine.

Vu le contexte, la constitution de l’Ordre des médecins comme partie-civile est une suite logique attendue. C’est la minimale protection à offrir à l’un de ses membres. Comme nous attendons la publication des conclusions de l’enquête qui sera menée par la commission d’éthique de ce conseil, compétente pour ce genre de dossiers, sans préjuger de la procédure judiciaire. Le tout est de dire : plus jamais cela, pour un médecin et pour tout autre détenu, d’opinion et/ou de droit commun, conformément à la loi algérienne et aux conventions universelles adoptées par l’Algérie.

Le soulèvement en cours dans le pays est-il porteur d’espoir ?

 Quand on est un militant démocrate, on se doit de garder l’espérance chevillée au corps. Cette espérance, aussi forte soit-elle, nous impose réalisme et vigilance car ce pouvoir résistera jusqu’au bout afin de garder son emprise sur la société. C’est la philosophie de base de toute dictature : à défaut de réprimer dans le sang les aspirations populaires, à l’exemple de ce que fait honteusement la junte militaire au Soudan, faire en sorte de louvoyer, manipuler, diviser et gagner du temps afin de ressouder le socle du système, fortement malmené.

Au stade actuel, les symboles du bouteflikisme sont encore au pouvoir : Bensalah, président des deux chambres d’un parlement à la solde de l’ex président, Gaïd Salah, chef d’État-major de l’ANP, désigné par le même ex-président, et Bédoui, ministre de l’intérieur, ayant réprimé tous les mouvements citoyens opposés à l’ex-président.

La symbolique du non changement est violente, surtout quand celle-ci se drape des oripeaux d’une constitution qui a été violée à plusieurs reprises pour pérenniser une dictature.  Cette vigilance s’impose donc derechef à nous car nous n’avons pas oublié l’épisode des années 90.  L’arrêt du processus électoral de 1992 avait comme objectif de sauver le pays des griffes de l’intégrisme islamiste et de poser les bases d’une Algérie moderne, démocratique, plurielle et laïque.

Nous, on voulait sauver l’Algérie, ils manœuvraient pour sauver le système, ce qu’ils ont réussi à faire au détriment des aspirations au changement de millions de  personnes et sur le dos de dizaines de milliers de victimes. Nous, on militait contre l’intégrisme islamique et son corollaire le terrorisme islamiste. Quant au pouvoir, il se contentait de lutter contre l’expression terroriste, sans s’attaquer à la matrice idéologique car cette idéologie intégriste fait partie de ses référents idéologiques arabo-islamiques.

Le pouvoir a confisqué les aspirations populaires en transformant l’arrêt du processus électoral en l’arrêt du processus démocratique. Cette conclusion nous hante, présentement, à chaque marche du vendredi.

Quand on porte les cicatrices de ces 3 dernières décades, on est en droit de rester vigilant face à ce pouvoir, nonobstant les acquis de la protesta citoyenne. C’est même un devoir de citoyen. Une  chose est certaine : nous n’avons pas le droit de rater cette historique occasion. Il y va de l’avenir de l’Algérie de notre espérance : plurielle, moderne, démocratique, égalitaire, sociale et laïque.

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