Saïd Mekbel est un fromager de 56 ans, natif d’El-Kseur. Technicien agricole, Il a exercé divers métiers dans le secteur public et privé avant de lancer en 2010, une unité de production spécialisée dans la fabrication des camemberts. Nous avons visité, récemment, sa fromagerie située dans la ville d’El-Kseur où il nous a accordé cet entretien..
L’Express DZ : Pouvez-vous nous présenter, en quelques lignes, votre entreprise ?
C’est tout une histoire, mais je vais essayer d’être bref. Ayant exercé durant plusieurs années, comme collecteur de lait cru au profit des unités de productions étatiques et privées, et ayant acquis une solide expérience dans le domaine après avoir ouvert une crémerie à El-Kseur, l’idée d’ouvrir une unité de production commençait à trotter dans ma tête. Mes fréquents contacts avec la laiterie Draa Ben Khedda ont joué grandement dans ma reconversion en fromager. J’ai lancé, en 2010 mon unité que j’ai dénommée « Ibarissen » en l’honneur à la montagne éponyme qui fait face à notre habitation familiale. Elle produit actuellement du camembert artisanal. C’est une entreprise familiale qui fait travailler trois permanents, et conjoncturellement, plusieurs conseillers et assistants-techniques
Quelle est votre gamme actuelle de produits ?
Notre fromagerie propose actuellement les produits suivants : camembert, brie, frais à l’ail et au persil…
Les produits que vous proposez sont-ils fabriqués à base de lait cru ou de lait reconstitué ?
Ah ! Sachant l’engouement des consommateurs pour les produits bio, au début, nous avons fait de l’utilisation du lait cru notre slogan et notre règle de conduite. Nos fournisseurs nous approvisionnaient alors, de quelque 2000 litres de lait cru par jour, que nous utilisons dans la fabrication de nos camemberts. Comme la qualité du lait cru est le principal facteur qui détermine la qualité des produits laitiers, il revient à dire que si le lait cru est de mauvaise qualité, tous les produits laitiers qui vont être fabriqués à base de ce lait le seront aussi. Ce qui nous est arrivé malheureusement ! Ayant constaté que le lait cru qui nous est distribué est souvent de mauvaise qualité, nous avons décidé de recourir, comme la majorité des producteurs, au lait en poudre. C’est moins de problèmes et moins de risques pour la santé publique. D’ailleurs, même certains contrôleurs qui nous inspectaient régulièrement et qui étaient stricts sur le processus de fabrication nous conseillaient à recourir à la poudre de lait pour éviter de mettre sur le marché des produits impropres à la consommation.
Comment ? Le lait de vache chez nous est de mauvaise qualité ?
Ecoutez, le lait de vache est très sensible et demande d’être entouré de tous les soins pour garder ses qualités sanitaires. Si l’on n’observe pas strictement un certain nombre de règles, allant de l’alimentation et de la santé du cheptel, aux procédures de traite, en passant par le stockage, le transport…., on aura évidemment un lait de mauvaise qualité. Un lait mélangé avec de l’eau, un lait avec des résidus de vaccins, d’antibiotiques, de détergents…etc. Bien-sur, je ne généralise, mais il faut le dire que chez nous, ils ne sont pas nombreux les producteurs de lait qui observent avec application les bonnes pratiques d’hygiène tout au long du processus de production. La qualité hygiénique du lait cru est très importante pour fabriquer des produits sûrs et de bonne qualité. En tout cas, notre fromagerie n’acceptera jamais de mettre sur le marché un produit fabriqué à partir d’un lait cru douteux qui pourrait nuire à la santé publique.
Donc, selon vous, vos produits sont sûrs et sont conformes aux normes de fabrication en la matière ?
Je dis et je le redis : je fais très attentions aux produits que je mets sur le marché. Mes produits répondent aux normes d’hygiène en la matière. Je suis très strict sur ce sujet. Mes produits sont fabriqués, disons-le, de façon artisanale. Vous avez vu par vous-mêmes, mes ateliers de fabrication. Ce n’est pas la peine que j’en dise davantage. Je ne badine pas avec l’hygiène. Je ne vais pas faire les louanges de mes produits mais il reste que dans toutes les foires où nous avons participé, nous avons constaté un certain emballement pour nos camemberts, malgré la présence, dans les mêmes foires de certaines autres marques. Mais il revient en dernier lieu, aux consommateurs d’en juger et de donner leur verdict.
Vos produits sont-ils disponibles partout en Algérie ?
Vous savez que la durée de vie d’un camembert ne dépasse pas, en général, les 45 jours. Et toucher tout le territoire national pour une petite unité comme la nôtre, n’est pas évident. Mais nous sommes actuellement présents dans plusieurs wilayas à l’exemple de Bejaïa, Bordj Bou Arreridj, Sétif, Bouira , Tizi-ouzou…
Vous avez maintenant une bonne expérience dans cette filière, quels sont les principaux problèmes que rencontre un fromager ?
On distingue deux types de problèmes : ceux à caractère national et ceux à caractère local. S’il est aisé de venir à bout des problèmes à caractère local, à l’exemple de trouver des fournisseurs et des distributeurs sérieux, il est difficile de faire face aux problèmes d’ordre national. Le manque de main d’œuvre qualifiée , la présence sur la marché de produits sans agréments , l’absence d’étiquetage pour différencier un produit artisanal d’un produit industriel, le trafic dans la production du lait pasteurisé et l’utilisation de la poudre de lait dans la fabrication des formages, des yaourts … c’est autant de problèmes qui malmènent les fromagers sérieux qui s’échinent à approvisionner le marché local de produits compétitifs , répondant aux normes requises . Je ne vous cache pas qu’on trouve sur le marché des produits fabriqués à base de poudre de lait, alors que dans des publicités pompeuses, on fait croire aux consommateurs que ces produis sont fabriqués 100∕100 à base de lait cru. Il faut qu’on arrête de mentir aux consommateurs !
Comment en finir avec toutes contrefaçons et l’usage frauduleux de la poudre de lait tout en encourageant la production du lait cru?
Je n’ai pas des solutions toutes prêtes à l’emploi , mais je pense que certaines mesures peuvent réduire de ces pratiques frauduleuses. Interdire aux fabricants de lait en sachets de fabriquer d’autres produits dérivés (yaourts, fromages…) peut participer à réduire de l’usage frauduleux de lait en poudre. Un transformateur de la poudre de lait en lait pasteurisé doit s’occuper uniquement de ce créneau. Pour en finir par exemple avec les fausses déclarations de productions de lait cru, il faut subventionner l’aliment au lieu du lait. C’est plus sur et plus pratique. S’agissant de la production du lait cru, Il faudrait que l’Etat aide et accompagne les éleveurs et les producteurs sérieux par des mesures incitatives diverses tout en se montrant sévère contre tous les fraudeurs.
Parlez nous de vos projets d’avenir
Je suis sur le point de dans lancer une ferme d’élevage caprin pour produire des fromages à base de lait de chèvre. Nous avons besoin d’une assiette de terrain pour construire une nouvelle unité plus grande, pour produire plus et développer notre gamme de produits. Espérons que nous trouverons des oreilles attentives à nos demandes dans ce sens.
Un dernier mot
Mes vifs remerciements à la DSA et à la chambre d’agriculture de Bejaïa et pour les médias qui se sont intéressés à notre fromagerie (TV4, Canal Algérie et l’Express DZ)