« A-t-on encore besoin des journalistes ? »

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Agonie du modèle économique, méfiance du public, désintermédiation mais surtout révolution numérique, le journalisme est plus que jamais en crise. Dans son ouvrage « A-t-on encore besoin des journalistes ? », Éric Scherer nous explique les raisons du déclin des « vieux médias » et pose les bases d’un nouveau journalisme. Une étude indispensable pour les journalistes souhaitant sauver leur profession.

Par Axel Savoye

Aujourd’hui, le journalisme est une activité en pleine mutation et nous connaissons le coupable de ces bouleversements : Internet. Depuis le passage d’un web 1.0 où le public était consommateur d’informations, à un web 2.0 où ce même public est devenu également producteur de contenus, les journalistes font face à une crise existentielle qu’ils peinent à surmonter. Avec l’émergence des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Instagram, Flickr, YouTube, Twitch, Reddit, Flipboard, et j’en passe, les journalistes ont d’abord perdu leur rôle d’intermédiaire. Les politiques, les artistes et les chefs d’entreprise ne sollicitent plus les médias pour déclarer ce qui leur passe par la tête mais vont plutôt le faire via Facebook et/ou Twitter. Et dans l’autre sens, le public peut à son tour publier des contenus comme des photos d’un carambolage sur l’autoroute ou un article sur un blog, grâce au web 2.0, nous sommes tous devenus un média. Face à ces changements majeurs, ce sont aux journalistes de s’adapter en utilisant cette révolution numérique et tous les nouveaux outils qui en découlent.

Cette révolution 2.0 est menée par la jeune génération, celle qui est née avec un écran dans les mains, celle qui préfère le fil d’actualité Facebook aux journaux télévisés, celle qui va dicter ses préférences de consommation sur le Web. Ce ne sont plus les journalistes qui contrôlent l’information, mais l’audience, les rôles se sont inversés. Le public veut désormais des contenus interactifs, gratuits, accessibles de manière rapide et facile, et en accord avec ses préférences. Aujourd’hui, la jeune audience délaisse la télévision et passe plus de temps sur Internet, et c’est là que les médias doivent évoluer. Ce processus est déjà entamé par les journalistes publiant leurs contenus sur les réseaux sociaux, partageant les contenus des autres médias sur leur compte, et diffusant des événements en live streaming. Les réseaux sociaux deviennent également le lieu où les journalistes vont puiser l’information, de la même manière qu’ils vont chercher l’info dans les dépêches des agences de presse. Par exemple, on peut retrouver sur Twitter les derniers scoops avec des hashtags tels que #BreakingNews ou #ElectionsUE19 si on souhaite suivre l’actualité sur les prochaines élections européennes.

Un autre défi pour les journalistes est de retrouver une crédibilité auprès de cette nouvelle audience. Les médias traditionnels sont considérés comme étant déconnectés du public et produisent des contenus qui ne correspondent pas forcément à ses attentes. On peut citer l’exemple des violences policières commises durant les manifestations des Gilets Jaunes, souvent dénoncées par le public sur les réseaux sociaux, le sujet a pourtant été repris que tardivement par les médias mainstream. La décrédibilisation du journaliste ne date pourtant pas d’hier, qu’elle provienne du public ou de certains politiques qui ont la dent dure contre les médias. Ce phénomène est aujourd’hui amplifié par la désintermédiation, le public peut dorénavant pointer les incohérences et les fausses informations plus facilement grâce à Internet. Le journaliste perd sa position de pédagogue en surplomb de son public et s’instaure dans une relation plus égale à égale avec une audience qui lui dicte ses préférences sur le Web.

Chercher un nouveau modèle

Enfin, les médias traditionnels se doivent de trouver un nouveau modèle économique, face à une nouvelle audience qui trouve son confort dans la gratuité des contenus, rendre ces derniers payants reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Toute activité qui se numérise deviendra gratuite, car le coût de production et de distribution est proche de zéro. Avec les médias audiovisuels et numériques, le public s’est habitué à s’informer gratuitement, et quand bien même il ne paye plus les contenus avec son argent, il continue de le payer avec son temps et son attention, des ressources rapidement grignotées face à ce torrent grandissant d’informations. De plus, les médias traditionnels, souvent dirigés par un patron milliardaire, sont critiqués pour leur manque d’objectivité, mais les financements de ce patron sont indispensables pour la survie du média. Aux États-Unis, des moyens alternatifs de financement existent comme le mécénat par des philanthropes, certains groupes de presse se sont également unis pour former des trusts, des fondations ou des associations à but non lucratif, mettant en avant l’idée que l’information est avant tout un bien public.
Malgré les difficultés de financement des médias et une décrédibilisation des journalistes, le public a une demande d’informations de plus en plus importante, et ce jusqu’à se faire engloutir par un raz-de-marée informationnel, on parle d’infobésité. Les médias traditionnels qui ont migré vers Internet et qui ont traduit leurs contenus en plusieurs langues ont vu leurs audiences augmenter alors que les ventes de la presse écrite s’effondrent. De plus, un sondage réalisé en février 2018 par Viavoice pour les Assises internationales du journalisme révèle que 92% des français pensent que le journalisme est utile, 84% des français pensent aussi que le journalisme est indispensable en démocratie. La première attente de ces sondés (pour 61% d’entre eux) vis-à-vis des journalistes est qu’ils soient des vérificateurs d’information, qu’ils écartent les fake news et empêchent la prolifération de la désinformation, 67% des sondés estiment également que c’est aux journalistes de vérifier l’information et que ce n’est pas à la justice ou aux pouvoirs publics de dire si une information est vraie ou non.

Les journalistes, rempart face à l’infobésité

Pour Éric Scherer, les journalistes auront encore un rôle dans cette nouvelle ère de la technologie et de la communication et seront notamment un rempart face à l’infobésité. So much data, so little time, nous sommes souvent perdus face à ce foisonnement d’informations. Les journalistes peuvent jouer le rôle de filtre et séparer le bon grain de l’ivraie en triant, reliant, simplifiant et hiérarchisant les informations, dans le capharnaüm du Web, les journalistes serviront de guide. Aujourd’hui, l’audience recherche des contenus plus « artistiques », qui attirent au premier coup d’œil, grâce aux nouvelles technologies, l’information peut devenir esthétique et ludique, on peut prendre comme exemple les infographies du New York Times qui sont d’une grande qualité (sélection des infographies de 2018 consultable ici). C’est aussi un journalisme plus populaire qui se profile à l’horizon, la collecte des informations, l’enquête et l’analyse ne sont plus des tâches réservées aux journalistes, elles peuvent maintenant être accomplies par tous. Un blog indépendant peut proposer des contenus d’une qualité égale aux contenus des grands médias.
Face à cette crise existentielle, ce sont aux journalistes de se réinventer, de repenser leur métier, leurs missions, l’organisation des rédactions ainsi que leur relation avec une audience qui a entre ses mains les mêmes outils qu’eux. À la question « A-t-on encore besoin des journalistes ? », la réponse est oui, mais ces journalistes doivent être différents d’avant la révolution numérique et doivent trouver leur nouveau rôle dans une période où l’appétit pour l’info n’a jamais été aussi grande.

Source principale de ce billet : Éric SCHERER, A-t-on encore besoin des journalistes ? Manifeste pour un « journalisme augmenté », Paris, Presses Universitaires de France, 2011, 216 p.

 

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