Mourad El Besseghi, expert financier : « Le financement islamique coince toujours »

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Dans cet entretien, l’expert financier MEl Besseghi donne son avis sur plusieurs sujets d’actualité financière y compris sur la finance islamique, la balance de paiement pour 2019, la taxation des importations et le taux d’inflation.

L’Express-DZ : Le projet de créer des fenêtres dédiées à la finance islamique au niveau des banques est en suspens. La Banque d’Algérie n’a toujours pas publié le fameux règlement autorisant les banquiers de la place à investir dans des produits relevant de la finance islamique. Pourquoi à votre avis?

MEl Besseghi : Pour parer à la crise de liquidité, l’actuel gouvernement avait avancé dans son plan d’action, deux sources de financement : Le financement non conventionnel et l’épargne islamique. Pour le premier levier, on a amendé la loi sur la monnaie et le crédit pour actionner allégrement la planche à billet atteignant à juin 2018, 3.585 milliards de dinars. Il est indéniable que cela a permis de dégeler certaines situations et éviter l’endettement externe, mais les conséquences à terme de cette injection de liquidité dans le système financier a fatalement des conséquences sur le niveau d’inflation.

Le financement islamique, pour sa part, coince toujours. Il faut rappeler que quatre banques publiques ont été sommées de mettre à la disposition du public, dés le quatrième trimestre 2017, les produits financiers islamiques pour drainer des liquidités qui sommeillaient sous les matelas, dans des tiroirs ou dans des sachets poubelles. Les autres banques publiques devaient, aux termes de ce plan d’action, suivre ce mouvement, au plus tard, au début de 2018 ; Rappelons que le secteur public occupe plus de 87% de l’espace commercial financier mais que le leader de la finance islamique en Algérie est la banque « ALBARAKA ».

La bancarisation de cette masse monétaire circulant dans l’informel pour les ramener vers la sphère réelle devenait  un objectif sous-jacent mais revêtant, une tout aussi importance capitale pour l’équilibre du système financier.  Pourtant, ce dernier objectif semble être remis au placard et jeter dans les oubliettes, puisque dans les déclarations officielles, la finance islamique (crédits et dépôts hallals), ne semble plus d’actualité, pour augmenter l’inclusion financière en Algérie.

Pour mémoire, des tentatives de drainer l’épargne ont été effectuées depuis 2015 à l’instar de l’opération de conformité fiscale, qui a permis de collecter seulement 100 milliards de dinars, ou bien l’emprunt pour la croissance économique, qui a connu un échec cuisant par rapport à ce qui était attendu.

Selon les différentes déclarations des dirigeants de l’ABEF, les banques ont mis au point les produits financiers, mis en place les instruments de gestion et la logistique nécessaires et formé le personnel. Des efforts qui étaient considérés comme un passage obligé pour prendre en charge ces nouvelles missions.

Alors que tout semble prêt, les banques attendent le feu vert de la banque d’Algérie, pour se lancer dans cette aventure. Un règlement de la Banque d’Algérie devrait être publié afin de mettre à niveau la réglementation qui tiendrait compte de la Chariâ et les préceptes de l’Islam qui interdisent la riba.

Principale difficulté : la juxtaposition de deux modèles dans une même banque  susceptible de remettre en cause tous les principes qui doivent régir ces produits. Le problème crucial qui se poserait serait l’étanchéité entre les deux grands types de produits (classique et Islamique) qui ne devraient rigoureusement pas se mélanger. Une frontière très hermétique devrait les séparer dans tout le processus de la gestion financière. Ainsi, on devrait assister à la présence de deux banques dans une seule, avec des systèmes de gestion différents, pour ne  polluer mutuellement les deux grandes familles de produits financier.

Pour le ministère des Finances, il faudrait un baril coté à 92 dollars en moyenne pour équilibrer la balance des paiements en 2019. Êtes-vous de cet avis?

Autrement dit, en considérant que les prévisions de dépenses soient maintenues, avec un baril de référence de 60 dollars, le déficit de la balance des paiements avoisinera les 10% du PIB, mais pour équilibrer le budget, il faut un baril à 92 dollars selon les rédacteurs du projet de loi de finances 2019.

Le prix du baril oscille ces derniers temps, entre  75 à 85 dollars, ce qui autorise relativement un répit pour atteindre, entre autres, l’objectif stratégique de diversification de l’économie, seule alternative pour sortir de cette dépendance totale de cette matière première et dont les fluctuations de prix à l’international font trembler nos prévisions.

Au moment de l’élaboration des prévisions de l’APLF  2019, soit au début du premier trimestre de cette année, il a été considéré que l’équilibre budgétaire serait atteint avec un prix réel de 92 dollars. Ce niveau a été fixé en considérant les données de l’époque.

A ce moment, une tendance à la baisse des volumes d’exportation de pétrole et de gaz est observée. Cette situation a débuté en 2017, puisque ces exportations  ont atteint 51,40 millions de tonnes d’équivalent pétrole au premier semestre de 2018, contre 53,27 millions d’euros au second semestre 2017 et 54,96 millions d’euros au premier semestre, selon la banque d’Algérie.

Cette baisse des quantités de brut produites et commercialisé, a été générée par les opérations de maintenance des installations et le lancement  de nouveaux projets. En effet, dans le but d’accroître la production et les exportations d’énergie,  l’exécutif envisage de réviser la loi sur les hydrocarbures qui prévoirait, à coup sur, une plus grande ouverture pour améliorer les conditions d’investissement et attirer les entreprises étrangères..

Cela est aggravé par la hausse de la consommation locale en énergie qui réduit la marge de manœuvre, puisqu’elle vient en déduction des exportations.

Le niveau des prix de 92 dollars du brut retenu comme prix d’équilibre pour l’année 2019 résulte de la conjonction de tous ces phénomènes. A ce jour en dépit de la volatilité des prix du brut, des perspectives 2019 et des données géostratégiques, cette référence à un prix de 92 dollars n’est plus d’actualité.

Après le système d’encadrement fait d’imposition de licences et de quotas pour certains produits et l’interdiction d’autres, les autorités ont opté pour une forte taxation des importations allant de 30 à 200%. Est-ce une bonne solution à votre avis pour réduire la facture des importations?

Après l’échec du système des licences, qui a produit l’exact contraire de ce qui était escompté et qui a abouti à l’augmentation de la facture d’importation, voici qu’un nouveau mécanisme d’encadrement des importations de marchandises, dont des produits alimentaires, est mis en place dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2018 ; Objectif : tasser les importations, réduire le déficit commercial et doper la production nationale.

Ce mécanisme prévoit l’élargissement de la liste des marchandises soumises à la Taxe intérieure de consommation (TIC) au taux de 30% et l’instauration de mesures douanières pour certains produits alimentaires. L’institution d’un  Droit Additionnel Provisoire de Sauvegarde (DAPS) applicable aux opérations d’importation de marchandises, qui sera perçu en plus des droits de douanes,  est fixé entre 30% et 200%. Pour faire le tri, il est fait recours à certains paramètres tels que les capacités de production installées, le taux de couverture du marché national, les perspectives d’investissement ainsi que les prévisions d’exportation. Le DAPS n’est pas encore entré en vigueur, après plusieurs rencontres avec les représentants des différentes filières pour s’enquérir de leurs propositions et malgré plusieurs annonces. Il est aux dires du premier responsable du secteur, fin prêt et doit voir le jour très prochainement.

Il est difficile d’en formuler une quelconque opinion objective, mais il est une évidence chez les économistes que les règles du marché sont impitoyables. Les mesures administratives ne peuvent contrer durablement un phénomène naturel, qu’est le libre marché sans produire des pratiques illicites et des comportements néfastes ; Attendons pour voir.

Alors que le projet de Loi de Finances 2019, adopté tout récemment en Conseil des ministres, table sur un taux d’inflation de 4,5%, les projections du FMI sont, elles, bien moins optimistes, pronostiquant un niveau de 6,7% pour l’évolution des prix à la consommation durant l’exercice prochain. Quel commentaire faites-vous dans ce sens?

En mettant en place, le financement non conventionnel de l’économie, l’inflation sera certainement au rendez vous. Les effets seront nettement perceptibles en 2019 et encore davantage dans les années qui suivent.

L’exécutif avait annoncé victorieusement en 2018, que le niveau de l’inflation n’est pas aussi dramatique que l’avaient prédit les détracteurs de ce type de financement de l’économie.

Mais,  ici aussi, il est évident qu’une injection importante de liquidité (3.585 milliards de dinars à fin juin selon la situation de la BA) grâce à la planche à billet, sans contrepartie productive, ne pouvait qu’engendre que de l’inflation. Elle est rampante pour le moment, elle risque d’être galopante, si nous continuons sur la même lancée.

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