Belaid Abane, professeur en médecine et historien évoque l’assassinat de Abane Ramdane

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Dans cet entretien l’historien Belaid Abane revient sur le congrès de la Soummam dont nous célébrons le 62e anniversaire dans quelques jours. Il évoque le rôle d’Abane Ramdane auquel il a consacré plusieurs ouvrages. Il évoque également l’assassinat de l’architecte de la Soummam et le reniement qui en ont suivi cette liquidation physique d’Abane.

 Express-dz : Nous commémorons le 62e anniversaire du Congrès de la Soummam.  Quels sont brièvement les apports de cette rencontre à la Révolution ?

 Bélaïd Abane : L’idée d’un congrès de la Révolution s’était imposée comme la clarification indispensable du 1er novembre.  Il fallait en effet institutionnaliser la lutte. Militairement bien sur en créant une armée révolutionnaire moderne avec sa hiérarchie politico-militaire à tous les échelons, avec ses grades, son éthique… Politiquement, le Comité de coordination et d’exécution (CCE) et le Conseil national de la Révolution (CNRA) incarneront désormais la direction de la révolution. Doctrinalement, la raison politique  guidera toute action militaire, et la Révolution, y compris dans ses objectifs diplomatiques, dépendra essentiellement de l’évolution intérieure. En plus simple : primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. La clarification était également de mise par rapport à l’occupant colonial. D’où la définition des buts de guerre et les contours de l’indépendance. Enfin clarification vis-à-vis de l’opinion internationale. Avec la plateforme de la Soummam, la Révolution algérienne avait sa feuille de route et battait enfin pavillon algérien pour reprendre une métaphore marine.

 

Le Congrès de la Soummam est une étape majeure de la lutte armée, comme vous l’aviez décrit, sauf que cette même étape tendait et tend toujours à être cachée et falsifiée. Pourquoi, selon vous, le Congrès de la Soummam fait toujours, tout comme son initiateur et son organisateur, l’objet d’attaques et de dénigrement ?

Ce fut en effet une étape majeure car pour la première fois dans son histoire coloniale, l’Algérie apparaissait comme une entité étatique distincte de la puissance occupante. Avec son « gouvernement » et son parlement. Etape longtemps occultée par le système né au cours de la Révolution depuis l’assassinat de Ben M’hidi (mars 1957) et d’Abane (décembre 1957). L’inversion des primautés soummamiennes (primauté du militaire installé à l’extérieur) depuis cette époque, avec le reniement par Krim de son engagement soummamien, est le point de départ de l’occultation. Plus tard, ceux qui ont pris le pouvoir en 1962, ont fait l’histoire de la Révolution à leur gloire et  profit. Ils ont renié toute étape même majeure de la Révolution quand elle n’allait pas dans le sens de leur légitimation. Voyez le sort réservé aussi à la glorieuse fédération de France du FLN véritable fer de lance de la lutte tant militairement mais aussi et surtout financièrement. Enfin le congrès de la Soummam passe aux yeux de certains idéologues restés loin du champ de bataille comme trop moderne voir laïque. Il faut pour être complet rappeler que pour Ben Bella et Mahsas ses deux principaux contempteurs, le congrès de la Soummam est une affaire de Kabyles, donc à leurs yeux, suspecte.

La personne d’Abane Ramdane est indissociable du Congrès de la Soummam, d’où les attaques répétées contre lui. Son assassinat avait-il un lien avec les résolutions du Congrès ?

Oui bien sûr. D’abord parce qu’il est apparu après ce congrès comme le numéro 1. Ce qui était inacceptable, notamment pour Krim et Ben Bella qui considéraient la Révolution comme un patrimoine appartenant aux primo-déclenchants. Deuxièmement, l’assassinat d’Abane est intimement lié au reniement par les « militaires » installés à l’extérieur des deux credo soummamien du politique et de l’intérieur.

 

Vous avez toujours dit que le Congrès de 1956 était l’événement fondateur de l’Etat algérien. En quoi l’était-il 62 ans après sa tenue?

Je vous ai dit tout à l’heure que le congrès de la Soummam a mis sur pied un Etat algérien en lutte contre une puissance occupante. L’armée Algérienne moderne, colonne vertébrale de l’Etat post colonial est également née dans les maquis et structurée au congrès de la Soummam. N’oublions pas que le grade de colonel est resté le plus haut dans la hiérarchie militaire depuis le 20 août 1956 jusqu’en 1984 date à laquelle furent nommés les premiers généraux algériens. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Il reste que les questions fondamentales évoquées à la Soummam telles la nature de l’Etat, les rapports entre politique et militaire, la place de la religion et la question de la citoyenneté sont encore d’une brulante actualité et entravent l’évolution des Algériens vers plus de démocratie, de modernité et de progrès.

 

Vous avez finalisé une série d’ouvrages sur la vie et le parcours d’Abane Ramdane, dont le dernier évoque son lâche et macabre assassinat. Pensez-vous que le choc psychologique demeure toujours et y’a-t-il un lien entre la liquidation physique de l’architecte de la Soummam et la situation politique actuelle du pays ?

 L’assassinat d’Abane est également un événement fondateur, négatif s’entend bien sûr. L’assassinat politique depuis la liquidation sans risque d’Abane, est apparu comme une solution facile à la résolution de tout problème politique. Et déjà avant l’indépendance, on y a eu recours à maintes reprises. Ça a continué après l’indépendance. Les régimes qui se sont succédé depuis 1962 portent à leur passif nombre d’assassinats politiques d’opposants ou tout simplement d’empêcheurs de tourner en rond. Bien évidemment si des dirigeants de la trempe d’Abane, de Ben M’hidi, de Didouche, de Ben Boulaïd,  de Lotfi … avaient survécu l’Algérie s’en serait probablement bien mieux portée.

Vous avez plaidé pour que cessent les liquidations physiques en Algérie, qu’avons-nous perdue en assassinant un homme comme Abane Ramdane ?

Nous avons beaucoup perdu du fait de cet état d’esprit qui consiste au recours à la violence pour aplanir un différend politique. Beaucoup d’hommes de grande valeur ont été éliminés, pendant la Révolution et depuis l’indépendance. C’est un énorme gâchis. Alors que la peine de mort est abolie dans la plupart des pays démocratiques, chez nous on décide de liquider un homme parce qu’il est politiquement gênant.  Pour être optimiste, je perçois un net infléchissement de cet état d’esprit qui ira en se consolidant dans l’avenir je l’espère. Il n’est plus imaginable qu’on puisse continuer à tuer des hommes pour leurs opinions ou leur opposition au régime en place.

Récemment, une annexe de l’Académie militaire de Cherchell a été baptisée du nom d’Abane Ramdane. Pour une reconnaissance officielle c’en est vraiment une. Quelle lecture en faites-vous ? 

Franchement pour moi c’est un non événement. Baptiser une annexe de l’académie militaire de Cherchell du nom d’un des plus hauts dirigeants politiques de la lutte de libération nationale, initiateur concepteur et organisateur du premier congrès de la Révolution, membre prééminent du CCE et du CNRA, constitue une perte déconcertante des repères. Abane, Ben M’hidi, Boudiaf, Ben Boulaïd…auraient mérité bien plus qu’une annexe d’Ecole militaire, un hôpital ou une coopérative immobilière … Pour revenir à Abane, la reconnaissance académique a précédé la reconnaissance officielle qui dépend elle des gouvernants du moment. Il est en effet l’un des rares dirigeants auxquels se rattache une œuvre en propre. L’avenir et l’histoire finiront par séparer le bon grain de l’ivraie.

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