Les véritables milliardaires, en Algérie sont-ils au niveau de la sphère réelle productive ?

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L’objet de cette contribution qui est le prolongement d’une interview que j’ai donnée au grand hebdomadaire français  « Le Point Paris France » qui a consacré un dossier sur les managers privés algériens en 2013, est de poser la question suivante : y a-t-il de véritables entrepreneurs en Algérie producteurs de richesses? Il ne faut pas confondre capital argent avec accumulation du capital qui détermine la richesse d’une Nation. Une personne ou un groupe qui possède beaucoup d’argent n’est pas forcément un entrepreneur qui lui investit dans la reproduction de la valeur au sens noble du terme, contribuant à la valeur ajoutée interne du pays. Aussi, se pose cette question cruciale, avec les différents scandales financiers à répétition qui créent un sentiment de frustration et de démotivation au niveau de l’immense majorité de la population algérienne à qui ont demande des sacrifices, les véritables milliardaires algériens  sont-ils  au niveau de la sphère réelle?


Contribution du Dr Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des Universités, expert international ([email protected] )


1.- Les principaux entrepreneurs privés algériens médiatisés

Pour éviter des interprétations byzantines, la  liste qui suit est faite en vrac et ne traduit pas forcément le poids réel  de chaque groupe.  1.-Nous avons le groupe CEVITAL,  le plus médiatisé en Algérie,  Selon le classement de Jeune Afrique, après SONATRACH  et NAFTAL, le groupe CEVITAL occupe la troisième place dans le classement  des 500 premières entreprises africaines activant surtout dans l’agro-alimentaire, le verre plat ect…. 2- Le Groupe MEHRI a   étendu son champ d’activité au monde des affaires internationales dès 1965.. -3-   Le Groupe HADDAD  active dans les secteurs des travaux publics, de l’hydraulique et des transports. 4.-Le groupe KOUININEF , allant de l’immobilier , au BTPH à l’industrie -5- Le groupe  RAHIM contrôlant ARCOFINA est un groupe algérien diversifié,  dans des métiers aussi différents que la distribution pharmaceutique, la banque, les technologies de l’information, la grande distribution, l’hôtellerie, l’immobilier d’affaires et l’assurance. -6- Le groupe BENAMOR est spécialisé dans la filière agro-alimentaire – 7- Le groupe OTHMANI  -(Propriétaire de Coca Cola Algérie) avec , NCA Rouiba -8-Le groupe BENHAMADI active  dans l’informatique, électronique, électroménager, matériaux de construction. – 9-Le groupe HASNAOUI – Les deux Groupes de Sociétés HASNAOUI active dans le «Bâtiment» et «Agriculture», – 10-Le groupe BIOPHARM est un laboratoire pharmaceutique Algérien, indépendant, fondé en 1992 par Mr. Abdelmadjid Kerrar. -11-  Le groupe SIM spécialisé dans l’agro-alimentaire.- 12- Bien entendu il existe d’autres groupes dont ne citerai sans être exhaustif  – a- la société HAMOUD BOUALEM qui est une entreprise familiale. C’est une marque algérienne fabriquant diverses boissons, du sirop au soda étant en concurrence  avec les sociétés IFRI, Coca Cola et Pepsi. –b- Le  groupe ATTIA   (Batna) spécialisé en fabrication de briqueteries, tuileries, boissons, eaux minérales et de source, boissons non alcoolisées. c- Le groupe EDEN ( Cherif Othmane) qui l’industrie de transformation, le tourisme et l’hôtellerie, la promotion immobilière et le négoce et la distribution– d- Le groupe DENNOUNI  activant dans le BTPH,–e-Dans les assurances ALLIANCES ASSURANCES. -f-, Nous avons notamment LA BELLE, qui  assure la commercialisation de café, riz, couscous, farine, le groupe agroalimentaire algérien. –g- la Sarl CVA BELLAT, créée en spécialisée dans la production et la commercialisation des produits carnés.

2.-Les plus grosses fortunes sont-elles  au niveau de la sphère informelle ?

Les  récents scandales notamment de la cocaïne et autres (immobiliers)  montrent que les plus grosses fortunes en Algérie ne sont pas forcément dans la sphère réelle mais au niveau de la sphère informelle notamment marchande avec une intermédiation informelle à des taux d’usure. Devant différencier pour les calculs afin de ne pas induire en erreur l’opinion publique , la part de la sphère informelle dans le PIB,  au niveau de la structure de l’emploi , de la part de devises échangées sur le marché parallèle et sa part au niveau de la masse monétaire en circulation donnant des taux différents, Selon Deborah Harold, enseignante américaine de sciences politiques à l’université de Philadelphie et spécialiste de l’Algérie se basant sur des données de la banque d’Algérie, l’économie informelle représenterait plus de 50 % du produit intérieur brut plus de quatre fois le chiffre d’affaires de toutes les grandes entreprises du FCE réunies.  Cette sphère contrôle au niveau de la sphère réelle 65% des segments des produits de première nécessité : fruit/légumes, marché du poisson, marché de la viande blanche/rouge et à travers des importations informels le textile/cuir, avec une concentration du capital au profit de quelques monopoleurs informels. Cette sphère liée à la logique rentière tisse des liens dialectiques avec des segments du pouvoir expliquant  qu’il est plus facile d’importer que de produire localement. Mais il ne faut pas se tromper de stratégie. Nous avons de nombreux entrepreneurs dynamiques  informels acquis à la logique de l’économie de marché qu’il s‘agit d’introduire dans la sphère réelle non par mesures administratives autoritaires mais par de nouveaux mécanismes économiques de régulation. D’une manière générale, il ne faut pas oublier le dynamisme de certains patrons de presse privées  tant arabophones que francophones ,  certaines sites dirigés par des Algériens initiés aux nouvelles technologies, qui ont permis le développement des espaces de liberté, restant l’audiovisuel en attente, enjeu de pouvoir, expliquant la tentative vaine du verrouillage médiatique à l’ère d’Internet, de la promulgation de la loi, les quelques télévisions privées fonctionnant en offshore. Il faut le reconnaître, le contrôle des médias est un enjeu stratégique pour les entrepreneurs privés algériens.  Il existe une règle générale valable pour tous les pays. Lors qu’on a beaucoup d’agent comme nous l’ont enseigné les fondateurs de l’économie, (l’économie est avant tout politique,) on  est tenté de faire directement ou indirectement (en plaçant des réseaux) de la politique. Aussi pour ce secteur particulier existe un danger, pour des cas où l’actionnaire principal est un privé, en cas de non autonomie de la rédaction, que ces médias s’adonnent à de la propagande, à l’instar de certains médias publics, au lieu de fournir une information objective d’où l’importance d’un code de déontologie. Cela n’est pas propre à la presse et concerne également les TV privés,  avec les contraintes de la publicité. D’une manière générale, le secteur privé algérien qu’il soit autonome vis-à-vis des sphères du pouvoir ou dépendant, (pour l’octroi de marchés), a une attitude contradictoire tant vis-à-vis de la politique du gouvernement concernant les grands dossiers. Comme la privatisation ( totale ou partielle des entreprises publiques existantes)  qu’il s’agit de ne pas confondre avec la démonopolisation ( unités nouvelles  crées par le  secteur privé) avec parfois des  alliances contre nature avec des syndicats corporatistes, (intérêts communs  de rente) , les dossiers de l’adhésion à l’organisation mondiale du commerce, des Accords de libre échange avec l’Europe et  de la règle  des  49 /51% % ( l’Etat algérien supportant tous les surcoûts via la rente)  régissant le privé international, instaurée en 2009 sans une délimitation claire de ce qui est stratégique et de ce qui l’est pas ayant donné parfois au détriment du trésor,  des situations de rente à certaines relations de clientèles .

 3.- Entraves au développement du secteur privé : contraintes d’environnement

Le secteur privé algérien s’est développé largement à l’ombre du secteur d’Etat selon le fameux slogan secteur privé facteur complémentaire du secteur d’Etat. Ce qui le freine c’est l’environnement et la sphère informelle dominante en Algérie.  Le milieu des affaires  est peu propice   aux initiatives créatrices  de valeur ajouté à l’instar  de la politique salariale qui favorise des  emplois rentes au lieu du savoir et du travail. Cela explique  que les entrepreneurs cités, face à une concurrence étrangère (nombreux  privés dans l’import)  à laquelle ils n’étaient pas préparée,  ont des filières d’importation afin d’équilibrer  leur comptes globaux. Que l’on visite bon nombre d’anciennes zones industrielles (Est- Centre – Ouest ou la zone de Ghardaïa)   et l’on constatera  que bon nombre d’anciennes usines  se sont transformées en aire de stockage expliquant d’ailleurs le dépérissement du tissu productif où l’industrie représente à peine 5% du produit intérieur brut. La raison essentielle sont les contraintes d’environnement : bureaucratie pour  plus  de 50%, un système financier administré,( plus de 90% des crédits octroyés sont le fait de banques publiques), un système socio-éducatif  inadapté  et enfin l’épineux problème du foncier. A cela s’ajoute du fait  de l’ancienne  culturelle,  une méfiance  vis-à-vis du privé tant local qu’international  du fait que les  tenants de la rente ont peu de perdre des parcelles de pouvoir. Cela explique d’ailleurs ces alliances entre la sphère bureaucratique et certaines sphères privées spéculatives mues par des gains de court terme via la rente. Or le véritable dynamisme  de l’entreprise, qu’elle  soit publique ou privée  suppose une autonomie de décisions face aux contraintes tant internes qu’internationales évoluant au sein de la mondialisation caractérisée l’incertitude,  la turbulence  et l’urgence de prendre des décisions au temps réel. Par ailleurs, selon les données quantitatives de l’Office national des statistiques (ONS)  c’est   la «prédominance» du secteur commercial et le caractère «tertiaire de l’économie nationale plus de 83% du tissu économique global , étant  fortement dominé par les personnes physiques à plus de 95% alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5%. Ce résultat est révélateur d’une économie basée essentiellement sur des micro- entités peu initiées au mangement stratégique.  Les quelques cas analysées précédemment qui sont d’ailleurs confrontés  à de nombreuses contraintes, ne peuvent  permettre à eux seuls  une dynamisation globale de la production hors hydrocarbures, nécessitant  des milliers d’entrepreneurs dynamiques.  Car si  le secteur privé réalise 80% de la valeur ajoutée hors hydrocarbures du pays, et plus de 60% de l’emploi , il  ne représente d’ailleurs que 2/3% du total des exportations  contre 97/98% pour Sonatrach,  sa part dans l’investissement global est négligeable, D’une manière générale que représente le secteur privé algérien  face au chiffre d’affaires de Sonatrach qui contribue directement et indirectement via la dépense publique/via les hydrocarbures à plus de 80% du produit intérieur brut ? A cela s’ajoute le manque d’unification des organisations patronales  privées  où sans être exhaustif nous  avons la  Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA)  la Confédération générale du patronat (CGP-BTPH), la Confédération des industriels et producteurs algériens (CIPA), la Confédération nationale du patronat algérien (CNPA, la Confédération algérienne du patronat (CAP) , le Conseil supérieur du patronat algérien (CSPA),  l’Association des femmes chefs d’entreprises (Savoir et vouloir entreprendre-SEVE), le Club des entrepreneurs et des industriels de la Mitidja (CEIMI). Quant au Forum des chefs d’entreprises (FCE), il  regroupe environ  499 entreprises qui peuvent corollairement appartenir à des associations syndicales, couvrant 18 des 22 secteurs économique et représentant un chiffre d’affaires de 14 milliards de dollars, employant environ  105.000 salariés,   le FCE étant  considéré comme un Think tank (laboratoire d’idées) et non comme une organisation syndicale, ayant annoncé depuis quelques mois qu’il se transformerait en syndicat.

4.-Pour une nouvelle gouvernance

Il existe actuellement une atmosphère de psychose  faisant fuir les capitaux ou la majorité se refugient dans des activités de gain de court terme ,alors que l’investissement durable repose sur la confiance .  Les missions des entrepreneurs publics, de  bon nombre d’institutions stratégiques de l’Etat  et  du secteur privé ont besoin d‘être démystifié, souvent assimilés faussement à voleurs à l’instar alors que cela concerne une minorité.  Le secteur privé national productif public et privé  a besoin de plus  d’autonomie  et d’espaces de liberté, ne signifiant pas  capitalisme sauvage. Les milliers d’entrepreneurs et d’intellectuels algériens qui réussissent  à l’étranger sont un exemple édifiant. Retenons d’abord  ce qui reste (cette fuite de cerveaux qui constitue une véritable hémorragie), tout en encourageant la diaspora qui  peut être un pont entre  l’Etranger, notamment et la terre natale et également avec des investisseurs étrangers afin de favoriser le transfert managérial et technologique grâce à des co-partenariats et des co-localisations.  Il  faut s’attaquer à l’essentiel qui  est une gouvernance mitigée, liée à une profonde moralisation de ceux qui gèrent la Cité. Sans vision stratégique, comment adapter l’Algérie à la mondialisation par plus d’espaces de libertés,   en levant  les contraintes d’environnement afin de permettre l’épanouissement de l’entreprise créatrice de richesses, en combattant non par des textes mais réellement   cette corruption socialisée qui menace les  fondements de l’Etat algérien, poussant la majorité à se tourner vers les valeurs spéculatives, il ne faut pas attendre  à une véritable développement de l’Algérie. Il y a lieu de souligner que la base de la réussite des réformes  doit  reposer sur une transparence totale et une large adhésion sociale. Dans les pays développés le niveau élevé d’éducation favorise la transmission de l’information étant  dans une économie de marché structurée.  Comme nous l’avons montré dans plusieurs contributions nationales et internationales récentes en posant la problématique du futur rôle de l’État dans ses relations avec le marché, il s’agit de faire naître le marché dans un contexte de non marché à travers cette mutation systémique bouleversant la cohérence des anciens réseaux, pour créer une dynamique nouvelle à travers de nouveaux réseaux acquis aux réformes( de nouvelles forces sociales) dans le cadre d’une nouvelle cohérence synchronisée avec les mutations de l’économie mondiale. Cette dynamique sociale est seule à même d’éviter ce manque ce cohérence et de visibilité dans la politique socio-économique dont les changements perpétuels de cadres juridiques (fonction des rapports de force au niveau du pouvoir) en est l’illustration où  plusieurs centres de décisions politiques, atomisant les décisions  et rendant volontairement opaques les décisions,  traduit le non consensus. En cas de non vision stratégique axée sur la concurrence, le processus de libéralisation qui  doit être maitrisée  s’avérera un échec patent avec le risque de passage d’un nouveau  monopole privé spéculateur,  favorisé par le Monopole source d’inefficience. Car dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments, tout privé algérien, chinois, européens ou américains est  guidé par  la seule logique du profit ( tout autre discours est de la démagogie) , appartenant à l’Etat régulateur représentant l’Etat- Nation de luter contre les malversations, les surfacturations d’avoir une vision claire de la politique socio-économique pour sécuriser l’investisseur, de concilier les  coûts sociaux et les coûts privés et donc  l’ efficacité économique et une profonde justice sociale, qui ne saurait signifier égalitarisme source de démotivation. . Aussi, si la morale des dirigeants   est une exigence fondamentale pour la survie de l’Algérie,  la  corruption combattue avec vigueur et transparence car menaçant la sécurité nationale, le monde des affaires a besoin de sérénité, d’une vision claire de ce que doit être l’économie algérienne 2018/2020/2030.


Contributions du Dr Abderrahmane MEBTOUL

Politique économique du gouvernement : manque de vision stratégique

L’Algérie, l’Accord avec l’Union européenne et les négociations avec l’OMC : avantages et contraintes

Usines de montage de voitures : Les 4 questions à poser au gouvernement


 

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