Soufiane Djilali, président de Jil Jadid : « Le clan présidentiel est dans une phase d’aveuglement total »

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Soufiane Djilali, président de Jil Jadid explique dans cet entretien les raisons de son opposition à un 5e mandat pour l’actuel chef de l’Etat. Il évoque, également plusieurs questions liées à l’actualité nationale, notamment l’affaire de la saisie de 701 KG de cocaïne…

Express-dz : Les partis de la majorité présidentielle réitèrent leur soutien au chef de l’Etat et le pressent de se représenter à un 5e mandat. Quelle lecture faites-vous du timing choisi pour faire la promotion d’une autre mandature pour Bouteflika ?

Soufiane Djilali : Il semblerait que le temps presse pour le clan présidentiel. Sachant que le Président de la République est inéligible pour le prochain mandat pour deux raisons au moins, le passage en force devient une carte à jouer. En effet, la maladie gravement invalidante et l’inconstitutionnalité d’un 5ème mandat compliquent la tâche. Pour l’entourage du Président, il faut bloquer toute ambition qui risque d’émerger, y compris de leur propre rang, forcer la main à l’Armée pour lui garantir le statu quo et passer outre les règles juridiques et morales en mettant tout le monde devant le fait accompli. Le clan présidentiel est dans une phase d’aveuglement total. Les proches du Président ne font confiance à personne même pas à ceux qui les ont aidé à se maintenir au pouvoir. Nous sommes donc dans une phase de démonstration de force. Le Premier Ministre est l’une des victimes de cette logique. Lui qui berçait le rêve de devenir Président de la République vient d’être sévèrement bloqué. Il ne lui restait plus que le choix de l’allégeance, ce qu’il a, de toutes les façons, toujours fait. Le plan des conseillers présidentiels est d’anesthésier tout le monde jusqu’en décembre ou même février 2019, puis décider seul, soit de l’illégal 5ème mandat, soit du successeur en qui ils auraient un minimum de confiance. L’Etat de droit, la démocratie, l’alternance etc… tout cela ne sont que concepts naïfs  pour ceux qui ont pris en otage la République !

Vous êtes l’un des initiateurs d’une pétition appelant le chef de l’Etat à ne pas se représenter et vous êtes aussi un des animateurs du mouvement Mouwatana. Quel danger représente, selon vous, un autre mandat pour l’actuel président ?

Un autre mandat pour Bouteflika aura deux buts, l’un en réponse à un désir psychologique de l’homme qui a décidé de mourir en tant que chef d’Etat, l’autre en réponse à la volonté du système qui veut perdurer, se prémunir de toutes poursuites et continuer en toute impunité son activité de prédation à large échelle. C’est le deal entre Abdelaziz Bouteflika et son entourage auquel il a remis les clefs de la République ! Je sais que ces paroles ont été souvent considérées comme radicales, voire extrémistes et peut être démagogiques. Mais voilà, l’affaire de la cocaïne vient de remettre les pendules à l’heure. Des dizaines de magistrats impliqués dans de sordides affaires, pour le moment se limitant seulement à un seul baron. Combien d’hommes de sales affaires sont dans les mêmes dispositions ? Dans n’importe quel pays, l’inculpation de deux ou trois magistrats aurait fait tomber un gouvernement. Chez nous, la corruption des magistrats est devenue une chose banale. Stupéfiants, blanchiment d’argent, détournement du foncier, trafic d’influence, faux documents… vous y trouvez des noms de hauts fonctionnaires, de juges, de procureurs, des walis, des administrateurs, des éléments des institutions policières et militaires… Et dire que très probablement, des hommes encore autrement plus puissants sont derrière ces affaires. Comment tous ces gens ont-ils pu infester tout l’appareil d’Etat  et sans aucune réaction ? Le général Hamel a dit une phrase explosive : il faut avoir les mains propres pour se permettre de s’attaquer à la corruption ! Autrement dit, il reconnait que la corruption est installée mais il nous dit que comme tout le monde est complice, il n’est pas légitime que l’un fasse le travail contre les autres ! Cela fait des années que de très graves affaires sont partiellement rendues publiques. Il n’y a aucun doute que la responsabilité politique incombe à M. Abdelaziz Bouteflika. Jusqu’à quel point, lui et ses proches ont pu bénéficier de cette corruption, restera une question légitime pour les Algériens. En tous les cas, si Bouteflika n’est pas le fondateur du système prédateur (quoiqu’il fût tout de même dans le cœur du système depuis 1958, soit avant l’indépendance du pays), il a mis en place une politique d’impunité généralisée qui ne pouvait que mener à cette situation. Et je pense, je pèse mes mots, il était très conscient de cela. La destruction de la morale publique a été la résultante logique de sa politique !

Les partis au pouvoir sont convaincus qu’il faut maintenir Abdelaziz Bouteflika au sommet de l’Etat, quelle est la meilleure réponse pour les y empêcher ?

Il faudrait que l’opinion publique s’active. Les Algériens sont comme frappés d’impuissance devant l’ampleur des dérives. C’est pourtant le moment de dénoncer ce crime contre le pays. Il faudrait que les hommes et les femmes de bonne volonté se serrent les coudes, unifient leur rang et mobilisent autant que faire se peut, nos compatriotes qui ont le sens des responsabilités et la fibre patriotique. C’est pour cela que nous contribuons à la construction d’un mouvement citoyen, Mouwatana. Nous osons espérer offrir un cadre fédérateur pour ces innombrables énergies atomisées et cloisonnées.

Vous avez menacé de sortir dans la rue pour empêcher le 5e mandat que vous qualifiez d’humiliant, de grave et de couteux pour le pays, maintenez-vous cette option et pourquoi ?

Absolument. Ce que je peux rajouter à cette déclaration qui remonte déjà à quelques mois, c’est qu’entre temps, beaucoup d’hommes et de femmes soutiennent l’idée. Je ne sortirai donc pas seul mais nous serons très nombreux à le faire. Il faut que les Algériens retrouvent la dignité de la parole et du geste. Il faut maintenant mettre un terme à cette tragédie bouffonne où des hommes se prosternent devant un tableau en lui faisant des cadeaux. On ne sait plus s’il faut en mourir de rire ou de pleurs ! Non, cette espèce d’Algériens sans foi ni loi, qui ne considère que ces propres petits intérêts égoïstes est de la même pâte que celle qui a permis au colonialisme, en collaborant avec lui, de perdurer si longtemps dans notre pays. Ce sont des collabos au sens le plus péjoratif qui soit et qui sont prêts à accepter n’importe quelle humiliation pour eux-mêmes et pour le pays, pourvu qu’ils soient payés en retour de quelques avantages sonnants et trébuchants ! Voilà pourquoi il faut en appeler à la conscience nationale pour changer ce système en faisant partir définitivement les hommes qui l’ont servi !

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