Slim Othmani, président de NCA Rouiba, Partenariat public-privé : « On n’a pas vraiment débattu de la question » (2ème partie et fin)

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« Le partenariat public-privé (PPP), tel qu’il est présenté, je ne veux pas en parler » car « c’est des guéguerres de clans, des bagarres, de centres d’intérêt de politiciens. On n’a pas vraiment débattu de la question », souligne Slim Othmani, président de NCA Rouiba, qui estime que le secteur privé algérien est « jeune pour avoir constitué suffisamment de capital pour s’inscrire dans un tel partenariat, dans cette 2em et dernière partie de l’entretien accordé cette semaine à l’Express DZ.Sur son éventuelle sortie de la Bourse d’Alger, s’il avait les moyens financiers pour racheter les participations. Il le fera sans hésiter, selon ses propos.

Tout comme M Othmani affirme que « La planche à billets va être rattrapée rapidement par l’endettement international (…) Je peux vous dire que dans cinq ans on va recourir à l’endettement international ».

Propos recueillis par Fella Midjek

Express DZ : Quel est votre avis sur le partenariat public-privé (PPP) ?

Slim Othmani : Il existe des entreprises à vocation de service public. Elles peuvent continuer à relever du domaine public. Notre environnement économique n’est pas encore prêt pour faire passer ces entreprises dans le domaine privé. A titre d’exemple, la poste ou l’entreprise d’électricité ne peuvent être privatisée pour l’instant. Il ne faut pas aussi oublier le caractère très social de la politique algérienne. On tente de ramener du confort à l’algérien quel que soit l’endroit où il se trouve sur le territoire national. Cette logique fait fi de la rentabilité. Il y a d’autres secteurs où il est nécessaire et urgent de céder complètement ou la mise en gestion privée. C’est le cas pour les grands hôtels algériens qui peuvent être mis en gestion auprès de grands groupes internationaux. Il existe un ou deux groupes algériens qui commencent avoir de l’expérience mais même eux sont conscients de la nécessité de faire appel aux étrangers. Il faut dire que certaines infrastructures se sont beaucoup dégradées. Il y a urgence de donner le lustre à certains de très beaux hôtels algériens qui sont devenus horrible. Pour le tourisme, il faut être réaliste ! Il faut que cette forme de partenariat ait un sens. Que va apporter le partenaire privé ? Est-ce que dans notre monde des affaires on a atteint un niveau managérial pour nous permettre dans une logique de partenariat privé ? Je pose la question. A-t-on suffisamment de ressources financières au sein de la sphère privée algérienne pour de gros projets de partenariat privé. Ce que recherche le secteur public sont des financements.

Express DZ : En principe, vous pouvez répondre à cette question, étant donné que vous êtes à la tête d’un thinkthank qui fait pas mal de travaux…

Slim Othamani : Le secteur privé algérien est trop jeune pour avoir constitué suffisamment de capital pour s’inscrire dans un partenariat public-privé dans de gros projets d’infrastructures. P       ar exemple, un opérateur privé qui est capable de faire un BOT sur l’autoroute Est-Ouest, je n’en connais pas ! Je ne sais qui en Algérie est en mesure de prendre en gestion en BOT cette autoroute alors que c’est une urgence. C’est un actif très important pour notre économie pour elle se dégrade. Le budget alloué pour son entretien face au benchmark internationaux fait pleurer. L’Etat a dégagé de gros budgets en matière d’infrastructure et il a oublié le mot « maintenance ». La maintenance n’existe pas dans le mental des algériens. Cet état d’esprit remonte au niveau de la gestion du pays. Le pays est très mal entretenu alors qu’on a consenti à des investissements colossaux en termes d’infrastructures. Il y a de l’électricité partout, le gaz, l’eau, les routes, les ponts, les barrages, le chemin de fer même s’il est en phase de rattrapage. Si  on veut moderniser et apporter du numérique et digitaliser tout ça, cela va être un véritable moteur de croissance. Malheureusement, c’est perçu comme une dépense et non comme un élément de croissance. Le PPP tel que c’est présenté, je n’ai pas envie d’en parler ! C’est des guéguerres de clans, des bagarres, de centres d’intérêt de politiciens. On n’a pas vraiment débattu de la question. Au niveau de CARE (Cercle Action et de Réflexion autour de l’entreprise), nous ne sommes pas encore au niveau d’une étude sur le sujet.

Express DZ : Si le PPP répondrait à votre vision, est ce que NCA Rouiba pourrait s’y inscrire ?

Slim Othmani : On pourrait mais NCA Rouiba veut rester dans son secteur d’activité. Elle veut encourager l’amont, elle le fait. Elle a beaucoup aidé à l’émergence de fournisseurs d’intrants à notre secteur d’activité. NCA Rouiba n’a pas envie de se diversifier pour juste le faire. Elle veut rester dans son secteur et d’être dans des activités connexes ou s’éloigner un tout petit peu du secteur des boissons mais garder le lien avec les fruits. Pour un partenariat public-privé, je ne sais car cela dépend de nos capacités surtout managériale et financières pour assumer un tel partenariat. Je ne sais pas ! Nous sommes ouverts à tout mais nous n’avons les capacités pour cela.

Express DZ : Avec votre expérience de la Bourse, pensez-vous que le marché financier est une option à l’ouverture des capitaux des entreprises publiques ?

Slim Othmani : Le marché financier ne fonctionne pas. Il n’y a toujours pas la volonté politique de le faire fonctionner. Je continue à clamer haut et fort, tant que les signaux ne sont pas donnés aux institutions qui sont censées donner de l’énergie à ce marché et de s’impliquer cela ne fonctionnera pas. On ne demande pas d’aide. Nous demandons que le marché financier avec des banques, des compagnies d’assurances, des fonds de pensions, des fonds d’investissement, des fonds de sécurité sociale et d’autres acteurs financiers internationaux dans le domaine comme ailleurs dans le monde. Si on pense que la Bourse devra fonctionner qu’avec des particuliers ça ne marchera pas. Nous demandons l’accès au marché de sources qui ont de l’argent long. Ma recommandation, si l’Etat continue à empêcher ses banques et ses compagnies d’assurances qui drainent quasiment la majorité de tous les flux financiers dans ce marché, l’Etat doit dire haut et fort : « je ne veux pas de Bourse ! ». Sans banques et sans compagnies d’assurance sur ce marché, il n’y aura pas de Bourse.

Express DZ : Qu’est ce qu’a apporté la Bourse à votre entreprise ?

Slim Othmani : Nous avons été à la Bourse pour deux raisons. La première, NCA Rouiba est une entreprise familiale, il y a plusieurs personnes (actionnaires) qui veulent comprendre quelle est la valeur de leur entreprise et ce qu’il en gagne.  Cela a permis une meilleure gouvernance de l’entreprise, une transparence et une valeur que donnent les transactions boursières même si aujourd’hui à la Bourse ne reflète pas la valeur de l’entreprise. La deuxième, nous avons ouvert le capital à un fonds d’investissement qui voulait quitter l’entreprise, nous étions donc confrontés à deux choix soit racheter les parts du fonds, soit mettre en vente ces parts. Nous avons opté pour le second. La quasi-totalité a été vendue, il reste une petite partie. Nous avons réussi les trois challenges, il reste celui de l’animation du titre pour que sa valeur réelle transparaisse au niveau des transactions. Nous n’arrivons pas à le faire car la Bourse n’est pas dynamique. C’est totalement indépendant de nous. Nous communiquons régulièrement dans les règles de l’art.

Express DZ : Est-ce que vous continuez l’aventure de la Bourse ?

Slim Othmani : Il s’agit de l’argent qui n’est pas mis de notre poche. Il s’agit d’actionnaires qui ont vendu des participations dont le Fonds d’investissement et deux ou trois membres de la famille qui ont cédé une partie de leur participation. Si j’avais les moyens financiers de racheter les participations, je quitterai la Bourse.

Express DZ : Dans une déclaration à Jeune Afrique, vous avez déclaré que la planche à billets n’est pas un « mauvaise choix ». Quels sont vos arguments ?

Slim Othmani : Ce que j’ai dit, c’est peut être une bonne solution. Sa mise en œuvre et son contrôle que nous voulons comprendre. Quel usage sera fait de cet argent ? Quel contrôle ? Je pense ce qui nous manque réellement dans la gestion des affaires du pays, c’est la bonne gouvernance et la redevabilité. C’est deux aspects, nous ne les avons pas. S’engager sur un résultat et à terme de son action, un ministre ou un Premier ministre qu’a-t-il fait ? Donner un état régulier de la situation. Pourquoi tel ou tel dépense ? Il faut qu’il y ait une cohérence. Chacun fait à sa guise. Donc cette instabilité chronique, qui existe dans les processus de décision et ce manque de visibilité est très dangereuse pour les investisseurs et dans la vie économique. Le citoyen est mal à l’aise. Cela crée un climat d’insécurité.

Express DZ : La planche à billets va-t-elle résoudre le problème de fond ?

Slim Othmani : L’option de la planche à billets ne peut pas résoudre le problème de fond de l’Algérie. Son économie n’est pas diversifiée. On n’a rien fait pour cela. Bien au contraire, on a entravé le processus de diversification pour des raisons politiques, peut être géostratégiques, des raisons purement d’amour propre, personnelle,d’ordre privé en favorisant tels groupes à tels groupes. Toutes ces raisons se sont entrechoquées. Au lieu de se neutraliser, il y a eu un effet multiplicateur qui a impacté gravement la diversification. Le tissu économique algérien n’est pas diversifié. Ça saute aux yeux ! De fortes concentrations dans le secteur de boissons, dans l’automobile, des semouleries, dans le médicament. Pour ce dernier, il y a plus de 80 usines  et 80 autres en construction. Que vont-elles produire et vendre ? A qui et comment ? De plus, le secteur vit de graves turbulences. Il y a une très forte logique d’imitation au sein de la sphère entrepreneuriale. Il y a aussi le rapport sociologique de l’algérien à son compatriote. On ne se respecte pas suffisamment entre nous. Le fait de ne pas se respecter, on n’accorde pas de crédit au travail que fait l’autre. Je m’éloigne du sujet économique mais c’est lié. Pour revenir à la question, la planche à billets est conjoncturelle dans une conjoncture. La planche à billets va être rattrapée rapidement par l’endettement international. Monsieur Ouyahia pourra dire 100 fois « il n’y aura pas d’endettement international ». Je peux vous garantir que dans cinq ans on va recourir à l’endettement international.

Express DZ : L’option initiale, qui n’a pas été retenue, était de changer tous les billets grâce au financement non conventionnel. Quel impact sur les entreprises pourrait être le cas ?

Slim Othmani : L’Algérie est gangrénée par l’économie informelle. Lorsqu’on dit cela, on ne regarde que le résultat, soit la maladie elle –même sans voir son origine. D’où vient-elle ? Elle vient d’un système fiscal incohérent, d’un besoin d’entreprenariat bridé par une administration et une bureaucratie infernale. L’Algérien est profondément entrepreneur contrairement à ce qu’on l’on croit et cela a été ignoré par les pouvoirs publics. Ces derniers n’ont jamais encouragé l’entreprenariat contrairement aux discours. Enfin, la corruption est arrivée. Elle est installée à un niveau très haut de la société puis elle est descendue dans les basses couches de celle-ci.Elle a favorisé le développement de l’informel. Celui-ci fait vivre aussi beaucoup de gens. Si on veut s’attaquer à l’informel il faudra apporter des solutions à ceux qui vivent de celui-ci. Ceux qui choisissent la répression sans s’attaquer aux causes et apporter des solutions à ceux qui vivent de l’informel se trompent de piste. Le changement de billet serait une erreur comme plusieurs autres commises depuis plusieurs années sans que personne ne trouve rien à redire et fixer les responsabilités. Le cas de la lettre de crédit a couté des centaines de millions de dollars à l’Algérie. Celui qui a pris la décision devrait être licencié de l’administration algérienne et rendre des comptes. Il devrait expliquer pourquoi cette décision sachant que cela aller coûter cher au pays. Par contre, ces personnes continuent à gravir les échelons dans l’administration.

 

Vous trouverez aussi des extraits de l’entretien sur notre chaîne youtube L’express DZ.

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