Entretien avec Tewfik Hasni, Consultant en transition énergétique: Energie renouvelable, la règle 49/51% est contreproductive

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Le développement des énergies renouvelables (ENR) n’est pas pour si tôt en Algérie. « Personne ne s’en occupe car il n’y a pas d’argent », affirme à L’Express DZ, Tewfik Hasni, expert en transition énergétique dans cet entretien où il présente un bilan négatif dans ce domaine tout en suggérons des solutions en l’option du solaire thermique. 

Propos recueillis par Fella Midjek

L’express DZ : Quel bilan faites vous de la transition énergétique en Algérie ?

Tewfik Hasni : On parle de 340 mégawatts (MW) à peu près principalement en photovoltaïque installés depuis l’initiation du programme datant de 2011. Revu en 2014, ce programme a été porté à une capacité nationales de 22 000 MW en excluant le solaire thermique. En fait, ce bilan est de moins de 0,1% en 15 ans. Le séminaire, organisé du 17 au 19 du mois courant, est sous le thème : La stratégie nationale. Or, il n’y a pas de stratégie. Une véritable stratégie devrait partir d’un modèle de consommation pour aboutir à un mix énergétique lié à tous les éléments d’évaluation de ce modèle. Parmi ces paramètres, ce modèle devra partir à partir d’une demande. D’abord, comment se structure les usages ? L’électricité ne représente en fait que 30%. C’est la chaleur qui représente 70% de la consommation totale. Toutes les mesures incitatives excluent le solaire thermique, pas avant 2020, sous prétexte que c’est plus cher. Or, c’est faux. La centrale hybride (solaire=gaz) de Hassi R’mel produit de l’électricité à 3,2 DA le kilowatts/heure qui était en fait inférieur au coût de Sonelgaz. Avec cela, il y avait une rémunération suffisante. C’était un investissement étranger, espagnol, en grande partie. Le projet a été initié par NEAL (New Energy Algeria). C’est une société de développement et un acteur déterminant né d’un partenariat public-privé (Sonatrach=Sonelgaz=Sim).

Quels sont les besoins ?

Lorsqu’on a analysé les usages on s’est aperçu que plus de 60% sont en électricité sachant que les usages thermiques sont en chauffage domestique mais dans l’industrie c’est très faible. Les besoins à horizon 2030, ce qui aurait se faire plutôt et donc nous aurons relevé le gaspillage avec 60% qui aller au domestique. C’était trop, surtout si nous devions diversifier l’industrie. Il fallait intégrer aussi la démographie qui a rebondie et les programmes énormes de construction qui augmentent encore le gaspillage en raison de la demande des ménages à un tarif tellement bas. Personne ne s’en soucie malgré les campagnes de sensibilisation sans résultat.

Quelles sont les raisons qui font que le modèle de consommation n’arrive pas à changer ?

Nous avons imaginé un scénario de modèle de consommation énergétique avec un mix qui en a découlé. Dans la définition du mix énergétique, il faudra prendre en compte différents facteurs : le coût, la sécurité énergétique avec une disponibilité pour satisfaire les besoins, la maîtrise technologique, l’intégration industrielle. Dix facteurs ont été définis avec une grille en comparant les différentes formes énergétiques : le solaire thermique, le photovoltaïque, le nucléaire, le gaz, l’éolien… La conclusion était que la filière qui correspondait le mieux aux facteurs est le solaire thermique hybridé avec le gaz torché en première position. En deuxième est le solaire thermique avec stockage. Donc, il n’y a plus besoin de gaz. Sonelgaz ont fait beaucoup d’erreurs sur les facteurs de . Lorsqu’on parle de mégawatts (MW) il s’agit de capacités tandis que la production est en mégawatts heure (MWh). On ne peut comparer des MW solaire photovoltaïque et ceux de turbines à gaz. Une turbine à gaz tourne au minimum à 6 000 heures par an (h/an). Le photovoltaïque est au maximum de 3 000 h/an. Pour la même capacité installée, entre photovoltaïque et solaire thermique, il y a un facteur de 3.5. Le photovoltaïque est à 3,1 centimes de dollar, soit 3 DA et le solaire thermique est à 6 DA. D’apparence, c’est 2 fois plus cher mais en réalité c’est 3,5 fois moins cher.

Pourquoi dans ce cas l’option du photovoltaïque ?

C’est une question qui ne relève ni du technique ni de l’économique. Il y’a d’autres raisons que nous ne maîtrisons pas. Il faut donc une stratégie.

Qui s’occupe aujourd’hui des énergies renouvelables en Algérie sachant que le ministère de l’environnement en a la charge depuis peu ?

Qui s’en occupe pas ! Personne ne s’en occupe car il n’y a pas d’argent et on ne maitrise rien. En effet, Sonatrach et Sonelgaz sont impliquées. Le discours (politique) n’a pas changé. C’est toujours une priorité. Cependant, la réalité pour la mise en œuvre où sont les ressources ? On nous dit qu’il n’y a plus d’argent. Le pays est crise.  Quels sont les véritables acteurs ? Lorsqu’on avait commencé notre quête de développer les énergies renouvelables on avait créé une société de développement NEAL. Elle n’est pas chargée de réaliser et de préparer tout l’environnement favorable aux entreprises qui vont devoir investir dont les études économiques, le choix technologique, le cahier de charge, la formation et le financement. Cette société contribue à la maîtrise technologique par la synthèse entre les différents centres de recherche. Puis c’est la Creg (Commission de régulation du marché de l’électricité et du gaz), d’après la loi en a la charge. Là aussi, il y a confusion le ministre parle de la Creg et Sonelgaz parle de son cahier de charge. Me le ministre a évoqué l’idée d’un conseil consultatif lors du dernier forum (organisé par le FCE du 17 au 19 janvier courant). Mais nous restons dans une approche volontariste une fois encore. Une entreprise ne peut exister que par l’existence d’un marché. C’est la question qui a été posée.  Il faut donc avoir une approche par le marché. Cette entreprise qui ne crée pas le marché et les moyens pour se financer elle va disparaître. Ainsi, elle sera motivée pour développer toutes les industries en matière d’énergies renouvelables. NEAL a pu vendre à l’investisseur qui est venu tout cet environnement ainsi nous étions plus dépendants des actionnaires.

Justement pour le nouvel appel d’offres, qui va investir ?

Pour une usine de 400 MW avec une intégration industrielle, personne ne viendra ! Ce n’est pas cela la  démarche. Il faudra commencer avec un programme de 8 000 MW sur le global de 22 000 MW cela va constituer un marché suffisant. Pour cela, il faudra savoir faire son choix technologique. Lorsqu’on dit de développer le photovoltaïque, il faudra tenir compte du processus décisionnel chez nous. Pour mettre en œuvre une usine, il faudra un minimum de 3 ans. Pour le photovoltaïque,  la technologie évolue tous les ans. Au bout de 3 ans, nous aurons un usine et pas de marché. Les européens ont fermé leurs usines. Les chinois ont profité. Une usine en Chine fait 5 000 MW/an. C’est ainsi qu’elle peut être compétitive. Cela coûte beaucoup d’argent avec un projet pareil. Personne ne viendra. Par contre, avec le solaire thermique, la technologie dans le verre ne bouge pas. Le verre plat nous le fabriquons chez nous. Il suffit de ramener des fours. Il faut aussi des structures  métalliques que nous savons faire. Il n’y a pas d risque sur l’évolution technologique. Pas besoin de changer d’équipements.

Avec le tissu industriel existant, que peut-on faire ?

Pour photovoltaïque, il faudra lancer donc tout le programme de 13 000 MW à réaliser sur un certain nombre d’années en amenant l’évolution technologique. Actuellement, il n’y a que les chinois. Ainsi, l’Algérie sera un pôle d’exportation de produits chinois vers d’autres marchés africains. A ce moment là, nous aurons des usines de grandes capacités qui produiront seulement des cellules. Les usines existantes actuellement montent des cellules importées sur des supports uniquement. Le solaire thermique n’exige pas des usines de grandes capacités. Aussi, la grosse erreur est d’avoir limité le solaire thermique à 2 000 MW. A ce niveau, on aura pas de marché. Dans les usages, 70% c’est de la chaleur. Le solaire thermique va permettre de dessaler l’eau de mer au lieu d’utiliser les membranes qui coûtent 50 millions de dollars tous les trois ans à l’importation et dont l’origine reste douteuse. Aujourd’hui, les plus grandes centrales qui existent dans les pays comme le nôtre sont du solaire thermique. Aux Emirates (Emirates Arabes Unis), il s’agit de centrale de 7 00 MW au coût de 6 DA le kilowatt heure (KWh). On ne peut continuer avec le gaspillage. Il est clair que la subvention doit être ciblée. Il faudra augmenter le tarif de l’électricité sur une période de 3 ans. On passe ainsi de 4 DA à 8 DA le KWh. Donc, plus besoin de subvention de 15 milliards dollars par an. Ainsi, il sera possible de financer le programme d’ENR. En plus, nous économiserons 40 milliards de mètres cubes (m3) de gaz par an.  C’est pratiquement la consommation de Sonelgaz avec les turbines à gaz. Il faudra arrêter la production de gaz à partir des turbines. Le problème est là ! Nous n’avons plus de marché pour notre gaz. De cette menace faisons une opportunité.

Pourquoi les dernières initiatives telle que Desertec n’ont pas abouti ?

Desertec n’a pas abouti car elle n’était pas viable. De plus, certains cercles d’ ntérêts européens ne voulaient pas de la concurrence de l’électricité algérienne sur leur marché. L’autre initiative avec les japonais était dans la recherche. Tous ceux qui se sont lancés dans les ENR l’ont fait avec des investisseurs étrangers. Dans ce domaine, les chinois’ les allemands, les espagnols sont indiqués. Pour le financement, la règle de partenariat 51/49 est contre-productive. Les investissements dans les ENR sont très capitalistiques et nous n’avons pas l’argent. L’Algérie doit apporter 51% des capitaux. Nous pouvons réduire à 40%  que nous assurerons en dinar à partir de la planche à billets sans recourir aux devises.

La loi sur les hydrocarbures est en cours, il faudra donc une propre aux ENR ?

La loi en révision porte sur les hydrocarbures. Elle doit revoir la fiscalité et l’environnement de l’investissement.

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