Eviter l’illusion de la rente des matières premières, le phosphate

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Le ministre de l’Energie a procédé récemment à l’installation du Comité intersectoriel de pilotage du méga projet de partenariat pour l’exploitation de phosphate et le développement des industries pétrochimiques, a indiqué ce ministère dans un communiqué qui devrait  permettre à l’Algérie de « devenir un pôle mondial d’exportation d’engrais phosphatés et de ses dérivés », ambitionnant , à travers ce mégaprojet stratégique, d’atteindre une production de phosphates de près de 11 millions de tonnes/an contre 1 à 1,5 millions de tonnes/an actuellement. Évitons les euphories comme ces déclarations d’un ex ministre de l’industrie en 2014/2015 que grâce à l’exportation du phosphate, du fer du ciment, l’Algérie fera-t-elle face à la baisse du prix du pétrole comme le stipulent certains responsables politiques et experts ?  Or, tant pour le phosphate que pour le fer (brut ou semi-brut) et le ciment, la commercialisation dépend tant des contraintes de l’environnement international, du management stratégique, de la teneur de ces minerais qui détermine le coût d’exploitation, et surtout de la croissance de l’économie mondiale dont  sa future structure avec la quatrième révolution industrielle qui se met progressivement en place 2018/2030. Dans ces segments internationalisés, quelques firmes multinationales contrôlent les techniques et les circuits de distribution. Évitons les erreurs du passé qui se sont chiffrées en pertes évaluées à des milliards de dollars.

Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane MEBTOUL ([email protected])

1.-Pour le phosphatec’est un élément clé entrant dans la composition des engrais qui sont d’une importance cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale, mais paradoxalement les cours entre 2015/2018 étant orientés à la baisse, en partie due à la baisse du prix du gaz qui est coté le 24 avril 2018 à 2,76 dollars le MBTU . Pour les réserves en phosphate, par ordre nous avons  le Maroc 50 000 mt, la  Chine 3700- l’Algérie 2 200, la Syrie 1 800- l’Afrique du Sud 1 500- la Russie 1 300- la Jordanie 1 300 – l’Egypte 1 250- l’Australie 1 030- les  USA 1 100  et  l’Arabie Saoudite 950. Pour la production, nous avons pour 2015  223 millions de tonnes (Mt) dont la Chine 100 mt, le Maroc 30 Mt, les USA 27,6 mt, l’Egypte 5,5 mt, Tunisie 4 mt, Arabie Saoudite 3,3 mt, Israël 3,3 mt, Australie 2,6 mt, Vietnam 2,6 mt, Jordanie 2,5 mt et Algérie 2,6 mt Le prix du phosphate brut a été divisé par trois depuis son pic de l’année 2008 ; ayant chuté de -43,2% depuis l’année 2011. Le prix mondial du phosphate brut est resté stabilisé autour de 115 dollars US la tonne métrique, en moyenne mensuelle en 2015. .Selon les prévisions de la Banque mondiale, la tendance générale et à moyen terme des prix des produits phosphatés reste orientée à la baisse, le phosphate brut se négocierait en 2020 au tour de 80-85 dollars U.S la tonne métrique, celui du DAP autour de 377,5 dollars US la tonne métrique  et le TSP à près de 300 dollars U.S la tonne métrique  Dans une nouvelle analyse, l’agence de notation mondiale estime que les prix des roches de phosphate resteront en moyenne à 100 dollars la tonne (sans frais à bord), en  2018 et les prix de la tonne de roche de phosphate (sans frais à bord) atteindront 105 dollars en 2019 et 110 dollars sur le long terme

3.-Le cours brut du phosphate est en ce mois d’avril 2018 d’environ 86 dollars la tonne contre 84 dollars pour la même période de 2017. .Ainsi si l’Algérie  exporte trois millions de tonnes de phosphate brut annuellement à un cours moyen même de 100 dollars entre 2018/2020, nous aurons un chiffre d’affaire, à ne pas confondre avec le profit net devant déduire les charges et le partage du profit avec la compagnie étrangère, d’environ   300 millions de dollars et  pour dix millions  de tonnes brut  un (1)  milliards de dollars.. Comme dans cette filière les charges sont très élevées (amortissement et charges salariales notamment) minimum de 40%, le profit net serait pour dix millions de tonnes  de tonnes environ 600 millions de dollars. En cas d’association avec un partenaire étranger selon la règle des 49/51%, le profit net restant à l’Algérie serait légèrement supérieur à 300 millions de dollars. On est loin des profits dans le domaine des hydrocarbures. Pour accroitre le profit net, il faut donc se lancer dans des unités de transformation hautement capitalistiques avec des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme avec une exportation de produits nobles. Ainsi, sur un marché aussi concurrentiel que l’UE, l’engrais /urée était vendue à plus de 423 dollars  la tonne en 2014 et a été coté  en moyenne annuelle en 2017    à 327 dollars  la tonne et le 24 avril 2018 à 247 euros la tonne.  Le prix de l’ammoniac est fonction du prix du gaz sur le marché international Lorsque le prix du gaz est de 4 dollars le MBTU le cout de revient de l’ammoniac est d’ environ  au cours actuel du dollar environ 140 dollars. Lorsque le prix du gaz est de 7 dollars le MBTU le prix de revient est  de 242 dollars. Sur le marché mondial le cours est très volatil a fluctué  entre 338 dollars (aout 2017) la tonne et 404 dollars cotation du début de février 2018. Mais pour une grande quantité exportable cela nécessite des investissements très lourds et à rentabilité à moyen terme pas avant 2020/2022 si le projet est en fonctionnement  en 2018. Et pour une importante quantité exportable, cela passe par un partenariat du fait du contrôle de cette filière par quelques firmes au niveau mondial. Par ailleurs, pour l’Algérie il faudra résoudre le problème du prix de cession du gaz qui doit être aligné sur celui du marché afin d’ éviter les nombreux litiges. Dans ce cadre, je préconise à la suite de nombreux experts que la pétrochimie soit rattachée au Ministère de l’Energie/Sonatrach pour plus de cohérence et d’efficacité, quitte à créer un secrétariat d’Etat des industries pétrochimiques.

4.- Devant privilégier uniquement les intérêts supérieurs de  l’Algérie, il faut reconnaitre qu’il y a  un manque de vision stratégique. Aussi,  je me permets de mettre  en garde le gouvernement contre les utopies  du passé   Tout cela pose la problématique des limites de la dépense publique via la rente et renvoie, pour l’Algérie, à la maitrise du management stratégique pour éviter les surcoûts, la mauvaise gestion et surtout le pilotage à vue, ignorant les nouvelles mutations mondiales ou l’initiation de projets non muris qui risquent de faire faillite à terme. Comme cette dérive  du montage de voitures où l’on recense plus de trente constructeurs qui n’existent nulle part dans le monde, allant vers  la sortie de devises et des faillites prévisibles ,  après avoir  perçu des avantages financiers et fiscaux considérables.  D’où l’importance de comprendre les nouvelles mutations  de ces  filières internationalisées  en perpétuel mutation technologique afin d ‘éviter pour l’Algérie des pertes financières qui peuvent se chiffrer en dizaines  de milliards de dollars. (voir nos contributions www.google.com sur l’incohérence de la politique économique notamment industrielle 2013/2018).

L’Algérie a besoin d’une vision stratégique au sein de laquelle doit s’insérer la politique industrielle (institutions, système financier, fiscal, douanier, domanial, système socio-éducatif, le marché du travail, le foncier ect.), afin de s’adapter aux nouvelles filières mondiales en perpétuelles évolutions poussées par l’innovation. Sans cette nécessaire adaptation au nouveau monde en perpétuelle mutation,  renvoyant à une nette volonté politique d’accélérer les réformes, donc à un renouveau culturel pas seulement des responsables mais de la société, l’Algérie ayant toutes les potentialités pour dépasser le statut quo actuel, il est vain de pénétrer le marché mondial et encore moins la filière minière contrôlée par quelques firmes internationales. Il ne faut pas vendre des rêves : l’Algérie dépendra encore pour de longues années des hydrocarbures. Les autres matières premières permettent de réaliser tout juste un profit moyen.

5.-En bref, un partenariat gagnant-gagnant avec des compagnies qui contrôlent les circuits internationaux est la seule voie pour valoriser le phosphate et pour avoir une plus grande valeur ajoutée car exporter  la matière brute constitue une entrée en devise dérisoire. Evitons l’illusion de la rente éternelle par les matières premières.  Comme je le rappelais dans mes précédentes contributions, aucun pays dans le  monde qui a misé uniquement sur les matières premières, n’a réalisé un développement  durable .Comme il faut éviter ce mythe  de la puissance du capital-argent  qu’un moyen. Remémorons-nous le déclin de l’Espagne pendant plus d’un siècle, après avoir épuisé ses stocks d’or venu d’Amérique. Etudions  l’expérience de la Roumanie communiste de Nicolae Ceausescu avec une dette nulle mais une économie, une corruption généralisée et une économie en ruine. Que l’on prenne les pays  exportateurs d’hydrocarbures qui ont eu des centaines  de milliards de dollars depuis  les  trois  dernières décennies qui ne sont pas  des pays émergents.  Depuis que le monde est monde, et cela s’avère plus vrai avec la quatrième révolution  économique mondiale 2020/2030/2040, la prospérité des différentes civilisations a toujours reposé sur la bonne gouvernance et  le travail.  Un exemple : d’ici 2020, le Centre national chinois des superordinateurs, situé à Tianjin, envisage, en collaboration avec l’Université des sciences et de la technologie de défense de l’Armée populaire de libération, située dans la ville de Changsha (centre de la Chine), de créer un superordinateur de nouvelle génération qui pourra effectuer un quintillion (million de quadrillions) d’opérations par secondes. Et on revient toujours à l’économie de la connaissance qui est l’investissement le plus sur pour un pays, un pays sans son élite étant comme un corps sans âme.  L’objectif stratégique pour l’Algérie 2018/2025 est  un développement des sections hors rente dans le cadre des valeurs internationales, conditionnées par de profondes réformes structurelles qui déplaceront forcément  des segments de pouvoir assis sur la rente.

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