Éviter le mythe des matières premières comme facteur de développement en Algérie

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Grâce à l’exportation du phosphate et du fer à l’état brut ou semi-brut, l’Algérie fera t-elle face à la baisse du prix du pétrole comme le stipulent certains experts ?   Or, tant pour le phosphate que pour le fer (brut ou semi-brut), la commercialisation dépend tant des contraintes d’environnement, du management stratégique interne, de la teneur chimique donc de leur pureté qui déterminent le coût d’exploitation, de la croissance de l’économie mondiale et surtout de sa future structure avec la quatrième révolution industrielle qui se met progressivement en place 2018/2030. Suite à mes précédentes contributions, ci-joint une analyse, aidée par des experts, qui j’espère sera utile au gouvernement afin d’éviter les erreurs du passé qui se sont chiffrées en pertes évaluées à des milliards de dollars.

Professeur des Universités, expert international Dr Abderrahmane MEBTOUL 

1. Pour le phosphate, c’est un élément clé entrant dans la composition des engrais qui sont d’une importance cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale. Pour les réserves en phosphate, Par ordre,  Maroc 50 000 mt, Chine 3700 mt, Algérie 2 200 mt, Syrie 1 800 mt, Afrique du Sud 1 500 mt, Russie 1 300 mt, Jordanie 1 300 mt, Egypte 1 250 mt, Australie 1 030 mt, USA 1 100 mt, Arabie Saoudite 950 mt.

Pour la production 2015, nous avons un total de 223 millions de tonnes (Mt) dont la Chine 100 mt, le Maroc 30 Mt, les USA 27,6 mt, l’Egypte 5,5 mt, Tunisie 4 mt, Arabie Saoudite 3,3 mt, Israël 3,3 mt, Australie 2,6 mt, Vietnam 2,6 mt, Jordanie 2,5 mt et Algérie 2,6 mt.

Le prix du phosphate brut a été divisé par trois depuis son pic de l’année 2008 ; ayant chuté de -43,2% depuis l’année 2011. Le prix mondial du phosphate brut est resté stabilisé autour de 115 dollars US la tonne métrique, en moyenne mensuelle en 2015.

Selon les prévisions de la Banque mondiale, la tendance générale et à moyen terme des prix des produits phosphatés reste orientée à la baisse, le phosphate brut se négocierait en 2020 au tour de 80-85 dollars U.S la tonne métrique, celui du DAP autour de 377,5 dollars US la tonne métrique et le TSP à près de 300 dollars U.S la tonne métrique.

Dans une nouvelle analyse, l’agence de notation mondiale estime que les prix des roches de phosphate resteront en moyenne à 100 dollars la tonne (sans frais à bord), en 2017 et 2018 et les prix de la tonne de roche de phosphate (sans frais à bord) atteindront 105 dollars en 2019 et 110 dollars sur le long terme. 

Ainsi si l’on exporte trois millions de tonnes de phosphate brut annuellement à un cours moyen de 100 dollars entre 2018/2020, nous aurons un chiffre d’affaire de 300 millions de dollars et trente millions de tonnes à 3 milliards de dollars. Comme dans cette filière les charges sont très élevées (amortissement et charges salariales notamment) minimum de 40%, le profit net serait pour trente millions de tonnes environ 1,8 milliard de dollar.

En cas d’association avec un partenaire étranger selon la règle des 49/51%, le profit net restant à l’Algérie serait légèrement supérieur à 900 millions de dollars. On est loin des profits dans le domaine des hydrocarbures. Pour accroitre le profit net, il faut donc se lancer dans des unités de transformation hautement capitalistiques avec des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme avec une exportation de produits nobles.

Ainsi, sur un marché aussi concurrentiel que l’UE, l’engrais /urée était vendue à plus de 350 euros la tonne en 2014 et a été coté en moyenne annuelle en 2017 à 270 euros la tonne et le 13 mars 2018 à 260 dollars la tonne.  Le prix de l’ammoniac sur le marché mondial est très volatil a fluctué entre 338 dollars (aout 2017) la tonne et 404 dollars cotation du début de février 2018..

Mais pour une grande quantité exportable cela nécessite des investissements très lourds et à rentabilité à moyen terme pas avant 2020/2022 si le projet est en fonctionnement en 2018. Et pour une importante quantité exportable, cela passe par un partenariat du fait du contrôle de cette filière par quelques firmes au niveau mondial. Par ailleurs, pour l’Algérie il faudra résoudre le problème du prix de cession du gaz qui ne saurait être aligné sur celui du marché et éviter les nombreux litiges.

Dans ce cadre, je préconise à la suite de nombreux experts que la pétrochimie soit rattachée au Ministère de l’Energie/Sonatrach pour plus de cohérence et d’efficacité, quitte à créer un secrétariat d’Etat des industries pétrochimiques.

2. Pour le fer, les réserves mondiales de fer évaluées selon les organismes internationaux à 85 000 millions de tonnes. L’Australie arrive en tête avec 24 000 Mt, suivi de la Russie 14 000 Mt, du Brésil 12 000 Mt, de la Chine 7 200 Mt, de l’Inde 5 200 Mt, USA 3 500 Mt, du Venezuela 2 400 Mt, de l’Ukraine 2 300 Mt, du Canada 2 300 Mt et de la Suède 2 200 Mt, l’Algérie n’étant pas citée dans les statistiques internationales mais selon les données algériennes ( (gisement exploitables) entre 1 500 et 2 000 Mt. Pour la production de fer, la production mondiale de fer s’élève à 3,32 milliards de tonnes, de très loin la Chine comme premier producteur suivie par l’Australie et le Brésil.

On estime qu’il reste environ 75/80 ans de réserves mondiales de minerai de fer (au rythme d’exploitation actuel). La Chine est le leader du marché du minerai de fer, avec 1,38 milliard de tonnes de minerai extraites, loin derrière, l’Australie (824 Mt, le Brésil,(428 Mt), l’Inde (129 Mt), et la Russie (112 Mt) Le prix du fer est fluctuant. Il a été coté le 27 juillet 2016 à 56 dollars la tonne métrique. Si l’on s’en tient aux statistiques internationales, le prix de la tonne, tout dépendant surtout de la relance de l’économie chinoise, les aciéries chinoises absorbant 70 % de la demande mondiale du minerai de fer, était de : 84,49 euros la tonne métrique en janvier 2009, 116,84 en en janvier 2012, 83,77 en en janvier 2013, 96,27 en en janvier 2014, 63,51 en janvier 2015, 48,23 en janvier 2016 , 76,06 en aout 2017 et  77,46 dollars février 2018.

A un cours de 70 dollars la tonne le fer brut, pour une exportation brute de 3 millions de tonnes /an, nous aurons un chiffre d’affaire de 210 millions de dollars et pour 30 millions de tonnes auquel il faudra retirer 40% de charges ( le cout d’exploitions est très élevé) restant entre 126 millions de dollars et 1,26 milliard de dollars . Ce montant est à se partager selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie en cas de 30 millions de tonnes environ 700 millions de dollars, restant à l’Algérie moins de 55 millions de dollars.

L’Algérie mise sur le  fer de Gara Djebilet. Rappelons que la découverte du gisement de Gara Djebilet date depuis les années 1950 avec les études du Bureau de recherche minière en Algérie en  1953, le Bureau d’investissement en Afrique en  1959, le Service d’études et recherches minières en 1961 jusqu’aux premières tentatives de développement à titre expérimental du site avec l’entrée en scène de la Sonarem après la nationalisation des mines, dont l’effort d’expérimentation a été stoppé net en 1975  suite à la guerre au Sahara occidental.

Les avis d’appel internationaux à manifestation d’intérêt lancés par Sonatrach, détenteur depuis 2009 du titre minier (adjudication, exploration) n’ont pas connu le succès escompté. Resté au stade de la «préfaisabilité», le dernier «projet intégré de Gara Djebilet», mis sur pied en 2005 prévoyait aussi bien l’exploitation proprement dite jusqu’à la production du fer. Ce projet intégrait l’extraction du minerai de fer avec option pour son enrichissement sur place, son transport par voie ferroviaire (projet de chemin de fer reliant Tindouf à Béchar) vers le nord du pays, une usine sidérurgique proche d’un port en cas d’exportation d’une partie du produit et la construction d’une cité minière près du site appelé à accueillir une importante main-d’œuvre.

Quant aux réserves, nous avons des données contradictoires, données qui fluctuent entre un et demi (1,5) et trois (3) milliards de tonnes.  Cela nécessitera de grands investissements, le montant global selon certaines études de 2015 fluctuerait entre 10/15 milliards de dollars, concernant l’exploitation, les investissements dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l’eau, des réseaux de distribution qui fait défaut du fait l’éloignement des sources d’approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l’environnement, unités très polluantes et surtout une formation pointue. Et là on revient à la ressource humaine, pilier de tout processus de développement.

Donc seule la transformation en produits nobles peut procurer une valeur ajoutée plus importante à l’exportation. Ainsi, le cours de l’acier, existant plusieurs catégories d’acier, est très fluctuant s’est établi à 620 dollars la tonne le 22/07/2016, à 580 dollars la tonne le 19/07/2016, début février 2018, 631 dollars la tonne  pour l’acier, 2551 dollars pour l’inox, 2210 dollars pour l’aluminium et 7066 dollars pour le cuivre et 3448 dollars pour le zinc. 

Du fait de la structure oligopolistique de la filière mines, au niveau mondial, la seule solution est un partenariat gagnant/gagnant avec les firmes de renom qui contrôlent les segments du marché international qui n’accepteront pas la règle restrictive des 49/51% avec les lourdeurs bureaucratiques, la souplesse et les décisions au temps réel régissant le commerce international.

3. Attention aux utopies comme cette déclaration d’un ancien ministre de l’Industrie courant 2014 reproduites par l’APS que l’Algérie économiserait 30 milliards de dollars durant les trois ou quatre années grâce aux Mines, alors que l’économie productive de 2018 est embryonnaire.

Tout cela pose la problématique des limites de la dépense publique via la rente et renvoie, pour l’Algérie, à la maitrise du management stratégique pour éviter les surcoûts, la mauvaise gestion et surtout le pilotage à vue, ignorant les nouvelles mutations mondiales ou l’initiation de projets non muris qui risquent de faire faillite à terme.

Comme cette dérive du montage de voitures où l’on recense plus de trente constructeurs qui n’existent nulle part dans le monde, allant vers la sortie de devises et des faillites prévisibles , après avoir perçu des avantages financiers et fiscaux considérables.

Comme cette utopie de dizaines de complexes de ciment où nous assistons actuellement à la sous-utilisation de capacités avec le risque du refroidissement si le stockage est de longue durée, accroissant les coûts , alors inutilisables pour la construction, étant presque impossible d’exporter vers l’Afrique où, contrairement à certains discours ne reposant sur aucune étude de marché sérieuses, les parts de marché sont déjà pris avec de nombreux complexes en voie de réalisation. Pour ce cas, de nouvelles méthodes de construction au niveau mondial sont en cours économisant le rond à béton, le ciment et l’énergie et selon les experts consultés la seule solution, comme en Allemagne, est d’utiliser le béton pour construire les routes revenant souvent moins cher que le bitume importé (voir nos contributions www.google.com sur l’incohérence de la politique économique notamment industrielle 2013/2018).

L’Algérie a besoin d’une vision stratégique au sein de laquelle doit s’insérer la politique industrielle (institutions, système financier, fiscal, douanier, domanial, système socio-éducatif, le marché du travail, le foncier etc.), afin de s’adapter aux nouvelles filières mondiales en perpétuelles évolutions poussées par l’innovation.

Sans cette nécessaire adaptation au nouveau monde en perpétuelle mutation, renvoyant à une nette volonté politique d’accélérer les réformes, donc à un renouveau culturel pas seulement des responsables mais de la société, l’Algérie ayant toutes les potentialités pour dépasser le statut quo actuel, il est vain de pénétrer le marché mondial et encore moins la filière minière contrôlée par quelques firmes internationales.

Il ne faut pas vendre des rêves : l’Algérie dépendra encore pour de longues années des hydrocarbures. Les autres matières premières permettent de réaliser tout juste un profit moyen.

En bref, comme je le rappelais dans mes précédentes contributions, aucun pays dans le monde qui a misé uniquement sur les matières premières, n’a réalisé un développement durable. Comme il faut éviter ce mythe de la puissance du capital-argent qu’un moyen.

Remémorons-nous le déclin de l’Espagne pendant plus d’un siècle, après avoir épuisé ses stocks d’or venu d’Amérique. Voyez l’expérience de la Roumanie communiste de Nicolae Ceausescu avec une dette nulle mais une corruption généralisée et une économie en ruine. Que l’on prenne les pays exportateurs d’hydrocarbures qui ont eu des centaines de milliards de dollars depuis les trois dernières décennies qui ne sont pas des pays émergents.

Depuis que le monde est monde, et cela s’avère plus vrai avec la quatrième révolution économique mondiale 2020/2030/2040 la prospérité des différentes civilisations a toujours reposé sur la bonne gouvernance, le travail et la recherche théorique et appliquée permettant la tolérance des idées productives contradictoires.

Un exemple : d’ici 2020, le Centre national chinois des superordinateurs, situé à Tianjin, envisage, en collaboration avec l’Université des sciences et de la technologie de défense de l’Armée populaire de libération, située dans la ville de Changsha (centre de la Chine), de créer un superordinateur de nouvelle génération qui pourra effectuer un quintillion (million de quadrillions) d’opérations par secondes.

Et on revient toujours à l’économie de la connaissance qui est l’investissement le plus sur pour un pays, un pays sans son élite étant comme un corps sans âme.  [email protected]

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