Maroc: la monarchie exerce un contrôle quasi total sur la presse

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Le célèbre quotidien de Boston, The Christian Science Monitor, revient dans une enquête exhaustive, sur l’ampleur de la censure au Maroc où la monarchie exerce un contrôle quasi total sur la presse renforçant la tendance à l’autocensure.

Le gouvernement au Maroc utilise à cet effet de nombreux moyens pour « museler la presse : harcèlement, menace d’arrestation, amendes, suspension et boycott publicitaire », relève cette enquête subventionnée par Pulitzer Center on Crisis Reporting.

Le quotidien souligne que les quelques principes de liberté d’expression contenus dans le code de la presse de 2016 au Maroc ont été effacés par le code pénal révisé qui prévoit toujours des peines de prison à l’encontre des journalistes qui franchissent les lignes rouges.

Ces restrictions n’ont « pas laissé beaucoup de place à une couverture critique des questions influentes au Maroc », à l’instar de la contestation populaire menée par le mouvement Hirak, constate l’enquête, citant en cela le rapport de l’ONG américaine, Human Rigts Watch, sur la liberté de la presse au Maroc.

En conséquence de ces mesures, la majorité des journalistes pratiquent l’autocensure « pour échapper aux poursuites en justice », commente Abdelmalek El Kadoussi, professeur de communication à Meknès. La liste des sujets qui font l’objet d’autocensure s’est allongée ces dernières années pour intégrer de nouvelles lignes rouges.

« Désormais le roi et la famille royale ne sont pas les seules lignes rouges. D’autres institutions comme l’armée, la justice et le département de la sécurité le sont aussi », note el Kadoussi.

L’autocensure a eu « un effet sinistre » sur la presse et les citoyens, observe-t-il. Le lectorat traditionnel a diminué préférant recourir à l’espace numérique qui offre une plateforme moins contraignante pour la critique et l’investigation.

En septembre dernier, un blogueur vidéaste a été condamné à dix mois de prison pour avoir diffusé une série de reportages sur la corruption au sein des services de police, alors que sept journalistes ont été poursuivis en justice pour avoir organisé une formation sur la promotion du journalisme citoyen au Maroc, et dont le procès a piétiné durant deux années.

Discréditer les journalistes

Christian Science Monitor, note que la brève lune de miel entre le Makhzen et la presse, observée juste après le début du règne de Mohamed VI, n’a pas duré.

La presse a été rapidement « étouffée » lorsqu’elle a commencé à s’intéresser aux intérêts financiers de la monarchie et à dénoncer la corruption et les lenteurs des réformes promises par le souverain marocain.

C’est là qu’intervient la mission du ministère de la communication de discréditer les journalistes, dont les écrits déplaisent au gouvernement, en incitant la presse proche du pouvoir à mener des campagnes calomnieuses à leur encontre, témoignent des journalistes et des avocats interviewés par le site américain.

Aboubakr Jamaï, cofondateur du magazine Le Journal qui a été poussé à la fermeture en 2010, décrit la triste réalité du monde des médias au Maroc où « les gens sont contraints d’aller sur les réseaux sociaux pour savoir ce qui se passe dans leur pays ».

La situation est d’autant exacerbée par le boycott publicitaire dont font l’objet les entreprises de presse qui publient des contenus critiques à l’égard du palais royal ou du gouvernement.

Ce chantage est exercé par des annonceurs proches de la monarchie qui contrôlent le marché publicitaire au Maroc.

« La presse n’a aucune capacité pour demander des comptes à l’élite » dirigeante, regrette Jamaï, dont le journal a été « acculé jusqu’à l’asphyxie financière et liquidé ensuite sur décision judiciaire ».

Les liens de la famille royale avec les médias

La pression financière exercée sur les médias a été mise en évidence par une enquête sur les acteurs majeurs du secteur, réalisée par l’ONG Reporter Sans Frontières (RSF).

Les conclusions de l’enquête, rendues publiques fin octobre de l’année dernière, ont révélé que 9 des 36 médias les plus influents au Maroc sont liés à la famille royale et au gouvernement. Ces entreprises de presse captent l’essentiel de la publicité publique et privée, octroyée via des circuits opaques.

« Nous ne disposons pas de critères clairs sur la façon dont cette publicité est distribuée », a déclaré Yasmine Kacha, directrice RSF pour l’Afrique du Nord au quotidien américain, expliquant que les annonceurs au Maroc ne sont pas intéressés par les médias à grande diffusion mais plutôt par ceux qui offrent une couverture plus favorable sur le pays. C’est là que ça devient un problème de liberté de presse », souligne-t-elle.

Bien que les lois au Maroc obligent les entreprises médiatiques à rendre publiques les informations relatives à leur propriété, beaucoup d’entre elles contournent cette obligation. Les informations contenues dans les registres de commerce concernant ces entreprises sont datées et incomplètes, constate Yasmine Kacha qui a supervisé l’enquête.

Christian Science Monitor évoque, à ce propos, le poids persistant de l’autocensure qui oblige les correspondants de la presse internationale au Maroc à traiter avec prudence certains faits de l’actualité comme la question du Sahara Occidental.

Aida Alami, journaliste freelance qui travaille pour le New York Times et Bloomberg, illustre cette situation en précisant au quotidien américain que pour échapper à la surveillance gouvernementale elle essaye « d’être très discrète » pour ne « pas se faire passer pour une anti-marocaine ».

« Je ne peux croire ce que je lis au Maroc », affirme de son côté, Achraf El Bahi, un interprète marocain qui a travaillé avec des médias et des ONG internationaux.

Conscient de la pression que subissent les médias au Maroc, Achraf el Bahi compte y faire face et lancer l’année prochaine à Rabat un nouveau magazine culturel.

« Pour que les choses changent, pour l’intégrité des médias, il appartient à la société civile (d’agir). Le journalisme au Maroc a besoin de personnes prêtes à le soutenir », dira-t-il à ce propos.

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